Formation professionnelle : ça s’essouffle (Jean-Pierre Willems)
Est-ce le contexte général qui mobilise les attentions et priorité (géopolitique, inflation), le match Travail-Bercy, la difficulté à relancer un dialogue fructueux avec les partenaires sociaux après une réforme en 2018 qui les a largement écartés du jeu, l’énergie mobilisée par la régulation des dispositifs nouveaux (apprentissage, CPF, CEP…), sans doute un peu de tous ces éléments, mais qu’elles qu’en soient les causes, force est de constater qu’après les dynamiques lancées en 2018 le soufflé est en train de retomber et que la politique de formation professionnelle manque pour le moins de lisibilité.
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Des projets sans cesse repoussés
Citons en deux emblématiques de l’essoufflement de l’action transformatrice engagée en 2018.
La réforme de la VAE
Votée il y a presqu’un an, la réforme de la VAE devait être mise en œuvre dès le mois de juillet 2023 avec une généralisation au 01/01/2024. Pour ce faire, un décret devait préciser les modalités concrètes de fonctionnement du GIP-VAE et les nouvelles modalités procédurales. Attendu pour le mois de juin 2023, le décret n’est toujours pas paru et ne le sera vraisemblablement pas avant la fin de l’année 2023. Si le projet de loi de finances prévoit un budget de 3 millions d’euros pour le fonctionnement du GIP et le site associé, il n’existe aucune ligne budgétaire spécifique pour la rétribution des architectes de parcours pas plus que pour celle des jurys, clé de voûte d’une réforme véritablement opérationnelle. Le calendrier de mise en œuvre paraît devoir s’étirer sans fin et l’on serait (agréablement) surpris si la mise en œuvre prévue n’était au final décalée que d’un an.
La réforme des transitions professionnelles
Le diagnostic que les dispositifs actuels de transition professionnelle (Projet de Transition professionnelle, Transitions Collectives, Transition démissionnaire, Professionnalisation en alternance pour les reconversions internes) sont, soit de faible portée faute de moyens, soit carrément inopérants a été fait de longue date par la ministère.
Il est également établi depuis longtemps que la réforme de 2018 a mis l’accent sur les jeunes avec l’apprentissage et sur le changement global du rapport des individus à la formation avec le CPF, sans traiter spécifiquement la question des transitions professionnelles qui restait un chantier à ouvrir. La Ministre Carole Grandjean
DGRH @ Groupe Etam
a fait part de son souhait de porter une “alternance tout au long de la vie” et l’on pouvait tenir l’expérimentation lancée sur le contrat de professionnalisation comme la préfiguration d’une réforme plus ambitieuse de ce contrat qui aurait davantage confié aux entreprises qui recrutent le soin d’apporter les compétences indispensables à l’exercice d’un nouveau métier selon des modalités rénovées et plus ouvertes que le format actuel.
Le projet de loi annoncé avant l’été puis avant la fin de l’année 2023 verra-t-il le jour en 2024 ? Rien n’est moins sûr à ce stade.
Une action enferrée dans des régulations qui cherchent leur sens
L’actualité de la formation est faite de trois sujets qui relèvent tous de mesures de régulation de la réforme de 2018, avec la caractéristique commune que les décisions prises peinent à faire sens ou à s’inscrire dans une politique globale :
- En matière d’apprentissage, la dernière régulation financière a principalement réduit les niveaux de financement des titres et diplômes qui accueillent le plus de candidats. Ce faisant, ce sont les niveaux 3 et 4, considérés pourtant comme prioritaires par rapport aux niveaux supérieurs, qui ont été le plus affectés. Et comme chaque année, aucun choix politique n’a guidé ce qui apparaît comme une régulation purement financière.
- En matière de CPF, le décret sur le déréférencement des organismes et sur la sous-traitance sera peut-être publié avant la fin de l’année 2023, s’inscrivant dans une stricte logique de réduction de l’offre, tandis que le feuilleton du reste à charge aura occupé toute l’année pour finalement trouver peut-être une issue dont le sens n’est guère perceptible sauf encore une fois à l’aune de la potentielle économie réalisée ;
- Avec 45 000 organismes certifiés, Qualiopi est une machine qui tourne et qui tournera sans doute encore sans que personne ne soit en mesure d’en évaluer les effets : incapable de prévenir les fraudes, ce qui était pourtant en partie son rôle puisqu’elle devait générer de la confiance pour les financeurs, elle risque de devenir un simple frein à l’accès à certains marchés pour les plus petits organismes de formation. On mesure le décalage entre les moyens déployés et les résultats obtenus.
On constatera que sur ces trois sujets, apprentissage, CPF et Qualiopi, ce sont moins les arbitrages qui sont en cause que leur lisibilité puisqu’à part l’objectif affiché du million d’apprentis à la fin du quinquennat, il n’y a plus d’objectif particulier assigné au CPF ou à Qualiopi et l’objectif qualitatif de l’apprentissage semble, sinon passé à la trappe, du moins renvoyé à d’hypothétiques lendemains.
L’effet boomerang de la centralisation
Le manque de dynamisme dans le champ de la formation professionnelle a sans doute une autre cause à celles évoquées en introduction : dès lors que l’État a repris en main quasiment tous les leviers en matière de formation professionnelle et réduit d’autant la capacité des partenaires sociaux et des Conseils régionaux, il serait vain d’attendre de la part de ses acteurs qu’ils prennent le relais de l’initiative lorsque celle de l’État s’essouffle. C’est sans doute le risque à ne vouloir qu’un pilote dans l’avion : tant qu’il est en forme tout va bien, s’il somnole il n’y a pas de copilote pour prendre le manche.
Pendant des années la formation a évolué selon des dynamiques accords-loi, sans d’ailleurs que cet ordre ne soit toujours vérifié. Parfois la dynamique était véritablement conventionnelle (1970, 1982 et 1983, 2003), parfois c’est la loi qui a été à la manœuvre (1993, 2002, 2014). Force est de constater que la négociation interprofessionnelle sur la formation ne joue plus aucun rôle et que les conditions d’un retour des partenaires sociaux dans la régulation du système ne sont pas à ce jour réunies puisque l’intégralité du système de financement est passé sous le contrôle de l’État via France compétences.
Du mieux en 2024 ?
Redonner du souffle supposerait dans un premier temps de redonner du sens et de définir clairement les objectifs sur au moins 4 champs :
- L’apprentissage. L’objectif du million d’apprentis va être atteint et s’il témoigne du maintien d’une ambition, il est insuffisant à porter un avenir. La dimension qualitative doit être mieux prise en compte et les objectifs politiques mieux affirmés notamment en indiquant quelle part de jeunes on souhaite voir passer par l’apprentissage ce qui permettra d’éventuels rééquilibrages budgétaires et pas seulement de la régulation sur les NPEC ;
- Le CPF. Il évolue aujourd’hui comme un canard sans tête faute de prendre à bras-le-corps la question des priorités. Plutôt que de réguler l’offre en accumulant les contraintes administratives pour les organismes de formation, il serait courageux de se prononcer sur les formations éligibles et de requestionner les critères initiaux de certification comme gage de qualité. Et de créer enfin les conditions d’un CPF qui ne soit pas qu’un droit de consommation mais également un droit de négociation en revoyant totalement les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent être utilisatrices de la plateforme ;
- Les transitions professionnelles. La renégociation de l’assurance chômage aurait pu être une opportunité de réorienter une partie des ressources vers les « dépenses actives » en encourageant les embauches directes de personnes en reconversion et en aidant les entreprises en peine de recrutement à assumer le coût de la qualification des candidats. La suppression de dispositifs inopérants (Transco, Pro-A) au profit d’un contrat de professionnalisation rénové et simplifié est sur la table depuis longtemps, comme pour l’apprentissage à terme il s’agirait sans doute davantage d’une économie que d’une dépense ;
- Les partenaires sociaux. Si l’on acte la fin du tripartisme et de la dialectique accord-loi, et que l’on souhaite pourtant revitaliser le dialogue social, alors ouvrons des champs d’expérimentation à la négociation de branche pour définir avec beaucoup de liberté comment elles peuvent s’approprier des dispositifs en les adaptant ou les créer, sans que l’orthodoxie administrative ne vienne par du juridisme limiter la capacité des partenaires sociaux là où elle s’exprime le mieux aujourd’hui.
Mais peut-être, avec ces souhaits, est-on un peu en avance pour Noël.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/12/2024 à 09:59