« L’alternance tout au long de la vie victime du succès de l’apprentissage ? » (Jean-Pierre Willems)
Le Gouvernement a fait depuis longtemps le diagnostic que les dispositifs de reconversion n’étaient pas à la hauteur des enjeux et fonctionnaient peu ou mal. La ministre Carole Grandjean
DGRH @ Groupe Etam
a plusieurs fois annoncé une réforme à venir de ces dispositifs avec l’objectif de mettre en place ce qui pourrait être une alternance tout au long de la vie. Sur le papier assez simple à réaliser. Le hic est qu’échaudé par le succès de l’apprentissage et les dépenses qui en résultent, Bercy n’est manifestement pas enclin à rouvrir un budget pour une alternance élargie.
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Des dispositifs qui fonctionnent peu ou mal
Le constat n’est plus à faire, les dispositifs de reconversion professionnelle fonctionnent peu ou mal. Qu’il s’agisse du projet de transition professionnelle, du dispositif des transitions collectives, du projet de transition démissionnaires ou de la Pro-A pour les reconversions internes, soit la mesure est trop complexe à mettre en œuvre, soit elle ne parvient à toucher qu’un nombre réduit de bénéficiaires. Et comme là établi une étude de France compétences, les reconvertis construisent leur parcours essentiellement en « bricolant ».
Ces dispositifs cumulent les défauts : le passage obligé par le chômage pour certains d’entre eux, la complexité de la mise en œuvre, l’implication de l’employeur que l’on quitte mais l’absence de celui que l’on vise, le parcours long de formation avant l’accès à l’emploi, la perte potentielle de revenu pendant la formation, etc.
C’est pourquoi le Ministère envisage de longe date de substituer à ces dispositifs une mesure unique d’alternance.
L’alternance tout au long de la vie : de nombreux atouts
Le succès de l’apprentissage a démontré, si besoin était, la pertinence du modèle de l’alternance pour l’exercice d’un métier que l’on ne maîtrise pas. C’est pourquoi le Ministère envisage pour les reconversions un contrat de professionnalisation rénové, c’est-à-dire ouvert à tous et simplifié.
L’expérimentation du contrat de professionnalisation rénové
Ouvert à tous car si tout jeune de moins de 26 ans peut utiliser le contrat de professionnalisation, pour les adultes, il est réservé aux demandeurs d’emploi ce qui exclut les 20 millions de salariés et les 3 millions de travailleurs indépendants qui ne peuvent changer d’activité en concluant directement un tel contrat. Simplifié pour permettre la diversification des parcours, les besoins pouvant être extrêmement différents selon les personnes et les emplois. Il s’agirait de permettre plus facilement les parcours de formation interne, de rendre possible la VAE notamment « inversée », de favoriser la FEST, etc.
L’expérimentation lancée avant l’été préfigure ce contrat plus souple dans ses modalités et objectifs. Toutefois, les délais de l’expérimentation (jusqu’à 3 ans) et surtout sa faible ampleur, 5 000 contrats prévus, limitent la portée de cette expérimentation et ne portent pas le projet d’une véritable alternance toute au long de la vie dans des délais courts. Faute aux moyens financiers mobilisables à l’évidence.
Une équation budgétaire impossible
Le débat autour du financement de l’apprentissage et de la maîtrise des coûts traduit les tensions qui peuvent exister entre Bercy, qui a pour priorité la réduction des déficits, et le Ministère du Travail, qui entend poursuivre une réforme qui a donné des résultats. La victime collatérale est bien l’alternance tout au long de la vie.
Après avoir sans doute mal évalué en 2018 la portée de la réforme et l’absence de limite budgétaire au financement de l’apprentissage, Bercy n’entend manifestement pas ouvrir un deuxième front avec le financement à guichet ouvert des reconversions, dont le potentiel est énorme.
L’obstacle n’est donc pas principalement politique, un créneau législatif pourrait être trouvé en 2024 et même sans majorité à l’Assemblée un tel projet pourrait recueillir une adhésion suffisante pour être voté, mais plutôt financier. Dès lors, une approche globale paraît difficile à tenir, ce qui n’exclut pas une action plus ciblée.
La possibilité d’une trajectoire progressive
Entre le grand soir de l’alternance tout au long de la vie et l’expérimentation réduite sur le contrat de professionnalisation, peut être une troisième voie existe-t-elle. Elle consisterait à ne pas partir du dispositif mais de besoins identifiés : des métiers pour lesquels la pénurie de candidats est récurrente et ne peut être comblée avec les dispositifs existants, une place importante des enjeux de compétences dans cette pénurie, et des branches professionnelles pouvant porter des projets d’embauche en alternance. Dans ce cadre, et avec une expérimentation plus large mais complémentaire à celle déjà existante, il pourrait être envisagé d’avoir un contrat de professionnalisation assoupli et élargi pour des secteurs qui s’engagent sur des résultats.
Un dispositif simplifié de contrat de professionnalisation pourrait ainsi être mis à disposition de toute entreprise qui embauche sur les métiers identifiés, élargissant les possibilités de sourcing et favorisant l’accès rapide à l’emploi y compris pour des actifs occupés souhaitant changer d’activité et sans le frein d’un passage par Pôle Emploi • Établissement public à caractère administratif chargé de l’emploi en France (a remplacé Pôle emploi le 01/01/2024)• Missions :- Accueillir et accompagner toutes les personnes - qu’elles soient ou… .
Quels arbitrages en 2024 ?
Au-delà d’une éventuelle expérimentation, la question du financement de l’alternance toute au long de la vie doit être considérée selon deux logiques.
- Pour l’apprentissage, il s’agit d’une formation initiale, d’un premier investissement de la nation dans une formation de base pour tous, et de garantir l’égalité des chances quelle que soit la modalité de formation choisie (formation sous statut d’élève ou étudiant ou sous statut d’apprenti).
- Pour l’alternance tout au long de la vie il peut y avoir une logique de seconde chance notamment pour ceux qui sont sortis précocement du système scolaire et n’ont pas bénéficié de l’aide initiale de l’État. Mais il existe également une logique de projet personnel ou de promotion qui permet d’envisager un financement multiple, y compris un effort personnel.
Le coût budgétaire pourrait donc être bien moindre que pour un contrat d’apprentissage et il ne serait pas nécessaire d’associer à ce dispositif reposant sur des besoins avérés un système d’aide à l’embauche. D’où un coût bien moindre que pour l’apprentissage pour des résultats que l’on peut sans grand risque envisager comme bien supérieurs à ceux des dispositifs actuels de reconversion. Reste à déterminer si un tel projet pourra effectivement voir le jour en 2024.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/12/2024 à 09:59