Financement de l’apprentissage : dix propositions au crible (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°300106 - Publié le
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À la demande de la Première Ministre, l’IGF et l’IGAS • Inspection générale des affaires sociales• Création : 1967• Missions : contrôle, audit et évaluation, conseil auprès des pouvoirs publics en matière de conception et de conduite de réformes … ont réalisé une mission flash d’analyse du financement des CFA. Comme le rappellent les auteurs, il ne s’agissait pas d’une évaluation globale de la politique d’apprentissage, mais de travailler exclusivement sur les modalités de financement des CFA.

Cette approche restrictive a conduit l’IGAS et l’IGF à formuler dix propositions qui portent exclusivement sur les ressources et dépenses de France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… pour le financement de l’apprentissage. Revue de détail.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Les dix propositions du rapport

Proposition n° 1 : Supprimer la distinction entre les lignes budgétaires Cufpa et péréquation qui financent conjointement la section alternance des Opco et fixer directement l’enveloppe attribuée à chaque Opco pour certaines dépenses des CFA (investissements, financement des maîtres d’apprentissage).

Cette proposition de simplification va jusqu’au bout de la logique de la réforme de 2018 : la déconnexion totale entre les cotisations des entreprises et les ressources des Opco. C’est en fonction de leur activité, et non des cotisations de leurs secteurs, que les Opco sont financés. Et cela permettrait à France Compétences de fixer l’enveloppe globale destinée à l’investissement et à la formation des maîtres d’apprentissage, dans le cadre d’une approche globale du financement de l’apprentissage.

Cette proposition suppose toutefois une modification législative et règlementaire, la péréquation étant prévue et organisée par la loi.

Proposition n° 2 : Poursuivre la fiabilisation des comptabilités analytiques (encadrement des clés de répartition des charges indirectes) et anticiper leur remontée à France compétences à fin juin puis à fin mai N+1.

Les constats de l’IGAS et de l’IGF confirment les limites de la méthode de détermination des NPEC à l’aide des remontées des comptabilités des CFA. Faute de méthodes comptables homogènes et devant la diversité, notamment, des modes de répartition des charges indirectes, c’est-à-dire celles qui sont communes avec d’autres activités, la comparabilité des comptabilités demeure limitée. Si l’on rajoute la ventilation des coûts par certification selon des méthodes tout aussi diverses que la répartition des charges globales du CFA, on en conclut que l’analyse des coûts de production des certifications demeure d’une grande approximation. Si un travail de fiabilisation, selon la terminologie des rapporteurs, reste à faire, il n’en reste pas moins qu’il ne permettra jamais d’établir un coût de référence incontestable, ce qui n’est pas illogique : la diversité des modèles économiques des CFA, mais également des modes de production, d’organisation et de situation du CFA au sein d’autres activités (CFA d’établissements publics de formation initiale, CFA d’entreprises, CFA consulaires, CFA au sein d’organismes de formation continue, etc.) sans compter d’autres paramètres fortement impactants (effectifs, implantation géographique,…), ne peut permettre de déterminer un coût unique attaché à une certification. Ce qui est toute la limite de l’approche par les coûts.

Proposition n° 3 : Dans le cadre de la révision à court terme des NPEC, réduire le surfinancement de l’apprentissage en simplifiant le modèle de France compétences et en respectant une logique de convergence proportionnée à l’écart constaté entre les NPEC et les coûts observés par contrat (économie envisagée : 580 M€).

La notion de surfinancement utilisée par les rapporteurs renvoie à une approche budgétaire figée d’équilibre des ressources et dépenses sur l’année. Elle ne fait aucune part à la nécessité d’autofinancer ses investissements, d’avoir des réserves de précaution ou à la dynamique même des dépenses (sans parler de l’inflation). L’objectif de convergence entre les coûts constatés a posteriori et les NPEC repose sur l’idée que l’idéal serait de tendre vers le zéro écart. Ce qui signifie tout simplement que certains CFA seraient mécaniquement déficitaires, notamment ceux qui sont placés dans les conditions les plus défavorables en termes d’effectifs, de localisation et de capacités d’adossement à une autre activité.

Dès lors qu’il est décidé d’avoir un NPEC unique au plan national pour un même cursus, soit on accepte de financer jusqu’à hauteur d’un niveau considéré comme incontournable pour les CFA confrontés au moins bon modèle, et alors les mieux placés dégageront de la marge qu’il faut accepter, soit on s’aligne sur un coût moyen et ceux qui ne peuvent réunir des conditions suffisamment favorables disparaîtront.

Proposition n° 4 : À moyen terme, assurer la soutenabilité budgétaire de l’apprentissage en responsabilisant financièrement les branches, selon deux scénarios alternatifs :

  • permettre aux branches de moduler les NPEC à la hausse comme à la baisse dans le respect d’un cadrage financier par branche, fixé par l’État • Institution publique chargée de conseiller le gouvernement français• Création : 1799• Missions :- conseiller le Gouvernement pour la préparation des projets de loi, décret- juger l’administration…  ;
  • fixer un niveau de prise en charge socle déterminé par l’État sur la base de ses priorités, et complété par des contributions conventionnelles traduisant les priorités des branches.

Les rapporteurs envisagent deux scénarios pour faire évoluer le système de financement des CFA, qui associent les branches selon des modalités différentes.

Le premier scénario reprend dans ses grandes lignes une proposition de l’UIMM portée par le MEDEF. Il s’agit de piloter le financement de l’apprentissage par une contractualisation avec les branches professionnelles. Sur la base d’une enveloppe globale accordée par l’État au vu d’objectifs quantitatifs, les branches s’engageraient sur un NPEC moyen à ne pas dépasser.

Le second scénario trace un champ de responsabilité entre l’État et les branches professionnelles : l’État financerai un NPEC minimum et les branches professionnelles compléteraient avec des ressources conventionnelles selon leurs priorités.

Ces deux scénarios ont le mérite de donner davantage de responsabilité aux branches que le système actuel. Elles se heurtent toutefois à deux écueils : le premier tient à la capacité effective des branches professionnelles à piloter leur politique d’alternance. Sur les près de 300 branches actives, une majorité auront bien des difficultés dans ce domaine, même si l’Opco peut être un appui technique efficient. Le deuxième a trait aux capacités financières des branches. À ce jour, les contributions conventionnelles représentent environ 500 millions d’euros pour l’ensemble des branches qui en disposent. Même si la totalité de cette enveloppe, ce qui n’est guère concevable au vu des politiques de branche et usages actuels, était réorientée vers l’apprentissage, cela représenterait une faible part des 7 milliards qui financent actuellement les CFA.

L’équilibre entre l’État, dont relève à titre principal le financement de la formation initiale qu’est l’apprentissage, et les branches mérite certainement d’être revu mais l’hétérogénéité des branches professionnelles, leur nombre et la différence de leurs moyens laisse une porte étroite pour en faire un mécanisme général de régulation.

On notera que les rédacteurs du rapport, s’ils marquent la responsabilité de l’État dans le financement de l’apprentissage, ne s’aventurent pas sur le terrain des transferts de jeunes vers l’apprentissage et de la diminution corrélative des lycéens et étudiants, qui offrirait pourtant une voie de financement complémentaire de l’apprentissage.

Proposition n° 5 : Recentrer les dispositifs dérogatoires de Cufpa - TA sur les exemptions applicables au salaire de l’apprenti, dans une logique incitative, et supprimer la réduction de taux pour l’Alsace-Moselle (rendement estimé à environ 300 M€).

La suppression des exemptions sectorielles et géographiques figurait dans le projet de loi initial de la réforme de 2018. Elle a été abandonnée dans le cadre du débat parlementaire. Le manque à gagner de près de 300 millions d’euros porte principalement sur le secteur associatif.

Mais les rapporteurs n’abordent pas la question dans sa totalité : les structures à but non lucratif sont certes exonérées de taxe d’apprentissage, comme d’autres impôts, mais elles paient en contrepartie une taxe sur les salaires à laquelle ne sont pas assujetties les entreprises commerciales. Leur imposer de financer l’apprentissage supposerait donc de revoir à minima le taux de la taxe sur les salaires, ce qui pourrait conduire certes à une mobilisation plus importante de ressources pour l’apprentissage mais in fine à un jeu à somme nulle pour l’État. Sauf à assumer d’imposer sans réduction en contrepartie une augmentation des charges salariales à ces employeurs.

Proposition n° 6 : Étudier la modulation du taux de la Cufpa en fonction des tensions de recrutement sur le marché du travail.

La proposition consiste à augmenter la contribution si le chômage baisse et à la diminuer si celui-ci augmente au motif que lorsque le chômage baisse les tensions de recrutement sont plus fortes et l’incitation à utiliser l’apprentissage plus grande. À l’inverse, en cas hausse du chômage les besoins de recrutement devraient être mieux pourvus.

Cette corrélation demeure toutefois très fragile puisque rien aujourd’hui ne permet de valider cette hypothèse et que le taux de chômage moyen a finalement peu de sens dans un pays où certains territoires sont en situation de plein emploi et de grande pénurie de main d’œuvre alors que d’autres connaissent des taux à deux chiffres bien supérieurs à la moyenne nationale.

Proposition n° 7 : Réduire le NPEC des niveaux 6 et 7 tout en redirigeant une partie des économies réalisées sur les dispositifs préparant à l’apprentissage sur les niveaux 3 et 4. Alternativement, envisager une modulation des aides aux employeurs en fonction du niveau de diplôme.

Cette proposition faisait déjà partie des hypothèses évoquées pour la régulation des NPEC en 2023 : privilégier le financement des certifications d’accès aux métiers (niveaux 3 et 4) et moins financer le supérieur. Force est de constater que la régulation conduite par France compétences aboutit exactement à l’inverse : ce sont les niveaux 3 et 4 qui sont le plus pénalisés alors que les certifications du supérieur sont largement épargnées. Pourquoi ? parce que l’on a privilégié le fait d’avoir une baisse modérée sur les certifications ayant de gros volumes pour maximiser les économies. Ce faisant, l’offre du supérieur, éclatée en de multiples certifications, a été plutôt épargnée, alors que les certifications moins nombreuses de premier niveau étaient plus lourdement pénalisées.

Si l’on en revient à un principe inverse, la question se posera d’un éventuel rééquilibrage de la régulation conduite à l’été 2023.

Proposition n° 8 : Enrichir les remontées de données des CFA vers France compétences pour permettre une meilleure connaissance de leurs modèles économiques (comptabilité générale détaillée, taux de remplissage des sections).

Proposition n° 9 : Instruire l’opportunité et la possibilité de mettre en place un échantillon de CFA représentatif à la fois de l’ensemble des formations dispensées et de l’ensemble des CFA.

On peut regrouper ces deux propositions 8 et 9 car elles témoignent de la même difficulté : appréhender la réalité de l’activité des CFA. C’est une difficulté récurrente depuis le début de la réforme Avec environ 3 000 CFA aujourd’hui, la diversité des structures, des organisations, des modèles économiques, des possibilités d’avoir, ou non, des économies d’échelle avec d’autres activités, des implantations géographiques induisant des structures de coûts très différentes (notamment pour l’Ile de France et les DOM), etc. rend très fragile la comparabilité des données transmises par les CFA et la compréhension de leurs modes de fonctionnement.

La mission en vient à préconiser la constitution d’un échantillon représentatif (évolutif chaque année) qui permettrait de mieux appréhender la réalité pour mieux la réguler. La tâche s’annonce ardue mais elle mérite d’être mise en chantier car l’apprentissage a connu une telle évolution depuis 2018 que la réalité bat sans doute en brèche les représentations subsistantes et il ne serait pas sage de confier aux seules comptabilités le soin de dire la vérité d’un secteur qui a perdu toute homogénéité.

Proposition n° 10 : Supprimer la distinction entre amortissements de plus et de moins de 3 ans dans les NPEC, recalibrer l’enveloppe allouée aux Opco pour le financement de l’investissement des CFA et le soutien aux maîtres d’apprentissage en tenant compte de la croissance du nombre d’apprentis depuis 2018, et y intégrer l’enveloppe des régions en faveur de l’investissement (180 M€ en 2022).

Il s’agit d’une proposition de bon sens dans la mesure où les CFA peuvent utiliser leur résultat pour l’investissement, les NPEC contribuant à ce résultat, ce qui rend très théorique la distinction entre investissements courts et longs.

Quand au recalibrage de l’enveloppe des Opco et à son augmentation notamment par récupération des fonds aujourd’hui versés aux Régions, elle s’inscrirait dans la logique de la réforme, aurait le mérite de donner davantage de marges de manœuvres aux branches tout en contribuant à mieux répartir les ressources. Reste la question politique de suppression d’une ressource aux Régions. 

Conclusion

Le rapport de l’IGF et l’IGAS souffre d’avoir été réalisé dans un délai contraint et de ce fait sur un champ d’hypothèses réduit et sans intégrer la dimension politique d’une véritable politique d’apprentissage pour l’État.

Centré sur les ressources et dépenses de France compétences, il propose plusieurs simplifications techniques de bon sens mais bute sur deux questions qu’il faudra bien résoudre à l’avenir :

  • le constat n’étant plus à faire que le mode de régulation actuel à atteint ses limites, comment dorénavant concilier ambition politique, développement de l’apprentissage et maîtrise de l’investissement, sachant que la croissance ne peut de toute façon être effectuée à coût constant que de manière marginale ;
  • la seconde question est celle de l’appréhension de cette réalité complexe qu’est devenu l’offre d’apprentissage et la capacité à intégrer toutes la diversité de fonctionnement des CFA. Ce qui devrait conduire à élargir, enfin, la question à la régulation qualitative et aux résultats et pas uniquement à la régulation budgétaire. 

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/12/2024 à 09:59

Inspection générale des affaires sociales (IGAS)

Inspection générale des affaires sociales
• Création : 1967
Missions : contrôle, audit et évaluation, conseil auprès des pouvoirs publics en matière de conception et de conduite de réformes / intervient à la demande des ministres, mais aussi sur la base de son programme d’activité / traite des sujets touchant à la vie de tous les citoyens : emploi, travail et formation professionnelle, santé, insertion sociale, systèmes de protection sociale
• Composition  : 136 inspecteurs en service
• Chef de l’Igas  : Thomas Audigé
Secrétaire général : Bruno Campagne
• Contact  : Carmela Riposa, responsable communication
• Tél. : 06 11 01 14 95


Catégorie : Etat


Adresse du siège

39-43 Quai André Citroën
75739 Paris Cedex 15 France


Fiche n° 7863, créée le 07/11/2018 à 11:16 - MàJ le 19/12/2024 à 12:04

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