Le boom des centres de formation d’entreprises (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°292977 - Publié le 26/06/2023 à 09:30
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Académies, Instituts, Campus, Ecoles, les centres de formation d’entreprises se multiplient et pas uniquement sous la forme de Centre de Formation d’Apprentis (CFA). Et si l’on en croit le nombre de projets en cours non encore aboutis, on peut en conclure qu’il ne s’agit pas d’un simple effet de conjoncture ou d’opportunité, mais d’un véritable mouvement de fond, très certainement durable, d’autant que le mouvement concerne tous les secteurs (industrie, commerce, services, économie sociale…). Trois raisons principales peuvent expliquer cette tendance lourde qui n’est pas sans effet sur le marché de la formation.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Le recrutement et la fidélisation comme objectifs principaux

Cela pourrait paraître paradoxal, mais la formation n’est jamais l’objectif premier de la mise en place d’un centre de formation d’entreprise. La première préoccupation est celle de l’emploi et notamment du recrutement.

Un enjeu de marque employeur

Le centre de formation est un élément clé de la marque employeur. Il permet de gagner en visibilité, de promouvoir l’image positive d’une entreprise formatrice et surtout il favorise un recrutement plus large et plus diversifié puisque l’entreprise ne recherche plus des candidats ayant les compétences requises, mais des candidats auxquels elle se propose de faire acquérir ces compétences. Il y a donc un double gain à se doter de capacités de formation : la visibilité et l’élargissement des cibles de recrutement.

À défaut de fidélisation, le recrutement est un puits sans fond

Mais les centres de formation sont également tournés vers les collaborateurs déjà présents : à défaut de fidélisation, le recrutement est un puits sans fond. Disposer de moyens de formation en interne c’est à la fois s’occuper de ses collaborateurs et de leur développement de compétences mais également proposer des évolutions et privilégier le recrutement interne pour l’accès à certains postes. Ce qui permet d’enrichir la promesse lors du recrutement, d’augmenter le taux de rétention en instaurant des dynamiques internes et de trouver auprès des salariés déjà présents les candidatures que l’on a du mal à recruter en externe.

La finalité emploi explique pourquoi, même lorsque l’entreprise sous-traite à 100 % les formations à des partenaires, elle tient à disposer de son enseigne : à défaut l’effet sur l’emploi et la gestion des ressources humaines, tant externe qu’interne, ne pourrait être le même. 

La diversité des pédagogies comme moyen 

Si le Covid a constitué un puissant accélérateur de particules pour les formations distancielles, il s’inscrit dans un mouvement plus large d’aporie de la formation au profit du développement des compétences. Même si 45 années de culture demeurent très pregnantes dans ce domaine, la notion de besoin de formation, qui a l’inconvénient d’associer le problème et la solution dans une même analyse, recule au profit du besoin de compétences et de la multiplicité des solutions pour y satisfaire.

C’est ainsi que l’on voit depuis plusieurs années fleurir les programmes de développement des compétences qui adoptent d’autres formats que le classique stage de formation.

Dans nombre d’entreprises le développement des compétences s’accomplit par l’échange de pratiques, par le tutorat ou le mentorat, par le coaching, par des ressources mises à disposition (qu’elles soient matérielles avec les bibliothèques de formations en ligne ou humaines avec des experts ressources identifiés), par le codéveloppement, par les formations actions, par les groupes de résolution de problèmes, par les mises en situation, par les participations à des projets, etc. Et si l’Afest dans son format règlementaire peine à trouver sa place dans les entreprises, étant davantage un sujet pour le monde de l’emploi/formation que pour le monde du travail, c’est sans doute parce que l’utilisation du travail comme source de développement des compétences, sans nécessaire formalisation, présente l’avantage de la simplicité quand bien même serait-elle un peu moins efficace (ce qui reste à démontrer) que les ingénieries complexes qui ont déjà dissuadé bien des entreprises.

La disparition des enjeux règlementaires et financiers comme catalyseur

Paradoxalement, la diminution drastique des financements des plans de développement des compétences a donné aux entreprises une liberté nouvelle : ne plus répondre nécessairement aux critères de financement et avoir la liberté d’organiser les actions en fonction de leurs ressources et de leurs objectifs.

L’optimisation financière et fiscale des années 90 et 2000 a disparu

Alors que dans les années 90 et 2000 on a vu des entreprises mettre en place des organismes de formation pour réaliser de l’optimisation financière et fiscale, ce schéma a aujourd’hui presque totalement disparu. Même en matière d’apprentissage, qui reste le dispositif le mieux systématiquement financé, ce n’est jamais le possible gain financier qui constitue la motivation du projet. De ce point de vue, on peut considérer que le développement des centres de formation d’entreprises s’effectue sur une base plus saine, et plus pérenne, que ce que l’on a pu rencontrer jusque-là.

Un champ de liberté pour l’entreprise

Sur le plan règlementaire, les enjeux liés à la règlementation de la formation sont déclinants dans les entreprises : lorsque aucun financement n’est en jeu, il n’est plus nécessaire de tracer des frontières étanches entre l’information, la formation, la mise à disposition de ressources, l’activité, les différentes formes d’accompagnement et plus généralement tous les systèmes qui permettent l’acquisition de compétences. C’est ainsi que l’on peut voir un grand groupe décider que toutes les actions réalisées par des prestataires qui ont pour objectif d’apporter des compétences seront validées comme action de formation sans se préoccuper de savoir si le prestataire est effectivement, ou non, déclaré comme organisme de formation. À l’heure du renforcement de Qualiopi on voit le décalage qui peut se creuser entre un monde de la formation qui continue à vivre sur ses règles propres et un monde de l’entreprise qui bascule, certes lentement mais sûrement, vers un champ de libertés. Et lorsque demain les tenaces habitudes de gestion internes qui bureaucratisent inutilement la formation seront abandonnées, le décalage risque d’être plus grand encore avec des entreprises friandes de liberté et de simplicité et des organismes ayant orienté leur fonctionnement vers une qualité faisant une large place aux exigences règlementaires.

Un repositionnement de l’offre de services des organismes de formation

La multiplication des centres de formation internes à déjà produit des effets sur l’offre de formation. D’une part c’est développé une demande de partenariat pour venir au soutien des centres qui ne place plus l’organisme de formation en fournisseur proposant son offre mais en partenaire capable de fournir des services définis par le client. Une économie de la demande qui n’est pas la culture dominante sur le marché de la formation. Surtout lorsque ces services ne portent pas exclusivement sur la production de formation mais sur des services annexes : appui au sourcing et au recrutement, fourniture de ressources pédagogiques, accompagnement des apprenants, évaluation des compétences, mise à disposition de certifications adaptées, organisation d’actions ou d’évènements sous des formats diversifiés, capacité à prendre en compte les spécificités de l’entreprise et notamment de sa culture et de ses métiers, etc. Ce champ-là est déjà un marché dans le cadre de l’apprentissage, il le sera demain également pour la formation continue.

Conclusion

La vie économique et sociale est faite de cycles, de flux et de reflux. Alors que beaucoup d’entreprises avaient mis en sommeil leur activité de formation dans le cadre d’un « recentrage sur leur métier », considérant qu’elles n’avaient pas à internaliser la production de compétences, les transformations du marché du travail, les aspirations nouvelles des salariés, le passage du marché de l’emploi à un marché « du candidat » dans bien des métiers, le besoin d’offrir du sens et des perspectives aux collaborateurs pour les fidéliser, ajoutés aux possibilités nouvelles offertes par la réforme de l’apprentissage ont lancé un mouvement d’investissement des entreprises dans les centres de formation qui est une évolution structurelle, qui ira à son rythme mais qui pourrait bien à terme bousculer le déjà très chahuté marché de la formation continue et jouer un rôle croissant dans celui de la formation initiale par apprentissage.

 

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40

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