« L’alternance n’est pas (qu') une pédagogie » (Jean-Pierre Willems)
L’alternance est aujourd’hui considérée comme la modalité de formation qui obtient les meilleurs résultats en termes d’accès au diplôme comme d’insertion professionnelle. Le constat est vrai tant dans le secondaire que dans l’enseignement supérieur : les apprentis s’insèrent plus vite et mieux que les étudiants qui obtiennent les mêmes diplômes sous statut d’élève ou d’étudiants. Le succès de l’alternance est tel que le Gouvernement envisage de faire du contrat de professionnalisation le principal outil des reconversions.
La pédagogie de l’alternance fait donc l’objet d’une reconnaissance inédite, mais peut-on réduire l’alternance à une pédagogie ?
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Une définition centrée sur le parcours de formation
Lorsque l’on recherche une définition de l’alternance, on constate que ce terme générique renvoie parfois à un principe d’organisation du parcours de formation, ou à une modalité pédagogique ou à des dispositifs de formation (contrat d’apprentissage, contrat de professionnalisation…). Plusieurs acceptions mêlées entrent souvent dans la définition. Ainsi, le site du Ministère du travail définit l’alternance comme : un système de formation fondé sur une phase pratique et une phase théorique qui alternent. Comprenant deux types de contrats, le contrat d’apprentissage et le contrat de professionnalisation, l’alternance permet de concilier travail en entreprise et formation théorique.
Pour sa part, le glossaire Lhéo (Langage harmonisé d’échange d’information sur l’offre de formation - 2022) définit l’alternance par l’organisation de périodes en centre et en entreprise au sein d’un parcours de formation. Cette organisation éventuellement personnalisable est décrite au démarrage du parcours qu’il s’agisse d’un stage de formation professionnelle, d’une formation par apprentissage ou dans le cadre d’un contrat de professionnalisation.
Si l’on évacue les dispositifs, il reste de l’alternance une organisation d’un parcours de formation qui associe deux lieux de formation ou mieux deux activités de formation distinctes : la formation en centre de formation et la formation dans le cadre d’une activité professionnelle. Autrement dit, un parcours de formation où l’éducation et le travail sont associés pour contribuer aux apprentissages, au sens large.
Si l’on s’en tient à la production de la formation, l’alternance est une pédagogie
Si l’on s’en tient à la formule selon laquelle l’alternance, dans une formule aussi datée que la distinction entre le travail manuel et intellectuel, associe une formation théorique et une formation pratique, il peut s’agir d’une pédagogie. Et dans ce cas on distinguera, comme le fait très bien le guide de la pédagogie de l’alternance de la métallurgie la pédagogie juxtaposée, celle dans laquelle les deux parcours de formation ne dialoguent pas, et la pédagogie intégrée qui voit les différents producteurs de la formation articuler leurs objectifs, moyens et progression pédagogique. La pédagogie intégrée permet d’ailleurs de faire litière de la distinction entre théorie et pratique : la construction des compétences par des activités diversifiées et coordonnées, tant en centre de formation qu’en entreprise, est bien loin du schéma traditionnel du « j’apprends, j’applique ».
Mais si l’on s’inscrit dans ce schéma, la pédagogie de l’alternance est affaire de formation, sont donc concernés les formateurs du CFA et les maîtres d’apprentissage de l’entreprise. Auxquels on peut ajouter les responsables pédagogiques et les collègues de travail dans l’entreprise, soit ceux qui contribuent très directement à la production de la formation.
Il est possible d’envisager de manière un peu plus large la notion d’alternance, particulièrement lorsqu’il est question d’apprentissage.
Une alternance élargie
On peut considérer que la qualité de l’alternance ne se limite pas aux fonctions de production mais qu’elle résulte d’une culture commune tant au sein du centre de formation que de l’entreprise.
Pour s’en tenir aux établissements de formation, la culture de l’alternance est nécessairement une culture de l’ouverture : sur les entreprises, sur les métiers, sur les conditions d’emploi et de travail, sur la diversité des contextes professionnels, sur la culture professionnelle des secteurs avec lesquels on travaille mais également sur les jeunes, leurs parcours, leurs aspirations, leurs appréhensions vis-à-vis de l’entreprise, leur traversée de l’adolescence ou post-adolescence pour les plus jeunes, etc. Et cette ouverture ne peut être le seul fait des formateurs et ne relève pas exclusivement de la pédagogie. C’est une orientation générale de toute la structure qui doit y contribuer et toutes les fonctions : la fonction commerciale (qu’il s’agisse de développeurs de l’alternance, de commerciaux ou de chargés de relations entreprises), la fonction d’accompagnement (accompagnement social, accompagnement psychologique des alternants), la fonction RH qui doit veiller à la prise en compte par tous de la relation client (qu’il s’agisse des entreprises ou des alternants), de la fonction qualité car l’alternance doit être au cœur de l’ensemble des processus, sans oublier la fonction administrative qui doit gérer les relations avec l’entreprise pour permettre une relation de qualité, condition d’une bonne coordination. Un centre de formation qui travaille sur des cursus en alternance n’est donc pas un organisme de formation comme un autre, il est en capacité dans toutes ses activités d’intégrer la capacité à prendre en compte le tryptique du jeune alternant, de l’entreprise partenaire et de sa propre activité.
Prenons un exemple à titre d’illustration : le CCCA-BTP est à l’initiative d’une expérimentation conduite au BTP CFA d’Occitanie en matière de prévention des ruptures des contrats d’apprentissage (voir la vidéo ). Il s’agit pour une équipe de psychologues extérieurs au CFA de conduire des entretiens de régulation avec les apprentis lors de leur présence au CFA afin qu’ils puissent s’exprimer sur ce qu’ils vivent dans le cadre de l’apprentissage. Cette expérimentation a produit des résultats remarquables tant en matière de baisse du taux de rupture que de dynamique de groupe. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une intervention « pédagogique », elle est pourtant au cœur d’une alternance de qualité.
Elle démontre si besoin était que l’alternance ce n’est pas que de la pédagogie et ce n’est pas que l’affaire des pédagogues. Et qu’il serait vain d’ailleurs de demander aux formateurs qu’ils prennent seuls en charge ce qui relève d’une alternance de qualité. Et ce que nous développons ici pour les centres de formation pourrait être transposé dans l’entreprise : l’accueil d’alternants engage l’ensemble de l’entreprise et des fonctions et une alternance réussie ne dépend pas que du maître d’apprentissage mais également des différentes fonctions de l’entreprise qui vont intervenir auprès des alternants et ne peuvent le faire, surtout avec les plus jeunes, exactement comme pour les autres salariés.
Peut-être que l’un des meilleurs résultats de la croissance quantitative de l’apprentissage, dans les centres de formation et dans les entreprises, sera de contribuer à diffuser cette culture commune de l’alternance.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40