Qualiopi : « Le vice est dans l’obligation, pas dans le référentiel » (Jean-Pierre Willems)
Le temps d’une étape 2 de Qualiopi n’est plus très loin, qui verra l’évolution du référentiel national qualité et pas seulement de son guide de mise en œuvre. Les retours d’expérience et l’exigence de mieux définir les critères de qualité des actions de formation par apprentissage ou des bilans de compétences nourriront sans doute cette évolution, dont on peut prévoir que les effets demeureront limités, non pas par le recours à la divination, mais parce que les limites de Qualiopi sont moins portées par son référentiel que par son caractère obligatoire.
Une analyse du consultant Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Qualiopi, une norme obligatoire
L’affirmation pourrait paraître exagérée puisque la certification n’est pas une obligation générale qui s’imposerait à tout organisme de formation. Pour autant, l’option du choix d’utiliser la certification Qualiopi ou non n’est effective que pour les organismes de formation opérant sur le marché de la formation continue payée directement par le client (entreprises ou individus).
Une telle liberté de choix n’existe pas, par exemple, pour les formations par apprentissage qui relèvent obligatoirement du tiers payant. Elle n’existe pas davantage pour les activités de formation destinées aux demandeurs d’emploi qui relèvent d’un financement public (Pôle emploi, Conseils régionaux, État…). Et la généralisation du droit au CPF instaure le tiers payant comme un outil incontournable.
De fait, pour l’immense majorité des organismes de formation (sauf à ce jour les sous-traitants et les opérateurs sur des marchés strictement privés), Qualiopi n’est pas un choix mais un passage obligé puisque la condition même d’accès au marché. Et c’est bien d’avoir fait d’une norme qualité une condition d’accès au marché qui est problématique.
Une obligation qui génère cinq vices
L’obligation d’obtenir la certification pour accéder à certains marchés est à l’origine de cinq vices qui brident les effets de Qualiopi :
- Elle ne permet pas aux pouvoirs publics de clarifier leurs objectifs ;
- Elle génère des pratiques très formelles de la qualité ;
- Elle crée un marché artificiel de la certification ;
- Elle tend à s’aligner sur le plus petit dénominateur commun.
L’obligation ne permet pas aux pouvoirs publics de clarifier leurs objectifs
La certification Qualiopi souffre d’un trop-plein d’intentions : élever la qualité moyenne des prestations de formation, constituer un repère fiable pour les utilisateurs, remplir une fonction de pré-contrôle des organismes de formation, faire office de référencement pour les financeurs, etc.
Qui trop embrasse mal étreint, dit-on. La profusion d’objectifs fait perdre la lisibilité de la certification et ne permet pas de créer une norme en totale adéquation avec ses finalités. Force est de constater que Qualiopi n’offre pas les garanties escomptées aux financeurs, comme en témoigne la mise en œuvre de procédures spécifiques par la CDC pour la régulation du CPF, la certification s’étant avérée impuissante à filtrer les prestataires de qualité et les autres.
De ce fait, elle n’est pas un véritable repère pour les usagers. A-t-elle contribué à augmenter la qualité moyenne des prestations ? Si tant est que cette notion ait un sens, constatons que le pire et le meilleur se côtoient… comme avant Qualiopi.
L’obligation génère des pratiques de qualité « formelle »
On ne fait pas faire de la qualité à celui qui n’a aucune envie d’en faire »De même que l’on ne forme pas celui qui ne veut pas se former, on ne fait pas faire de la qualité à celui qui n’a pas intégré la démarche elle-même et n’a aucune envie de le faire. Mais faire de Qualiopi un passage obligé conduit nombre d’organismes à s’engager dans la démarche à reculons et à transformer une démarche qualité en « passage d’un examen d’audit ».
Comme cela arrive dans d’autres domaines, on ripoline les cuivres avant les audits, avec davantage d’attention portée à la production de preuves qu’à la mise en place au quotidien d’une démarche d’amélioration continue.
Or la qualité ce n’est pas passer un examen tous les 18 mois et souffler entre-temps. C’est une culture qui s’entretient en permanence. Mais dès lors que la certification est une contrainte et que des organisations n’entrent pas dans la démarche de manière volontaire et motivée, il est inévitable qu’elle demeure pour partie un examen ponctuel qui ne trouve sa finalité que dans l’obtention du sésame et non dans l’intégration d’une démarche vertueuse.
L’obligation génère un marché artificiel, mais lucratif
Avec plus de 40 000 certifiés, contre quelques centaines d’organismes de formation titulaires d’une certification qualité avant la mise en place de Qualiopi, l’obligation a créé un marché de la certification. Pour les 34 organismes certificateurs accrédités par le Cofrac, l’obligation de certification aura été un magnifique appel d’air et la constitution d’une activité de rente, puisque d’audit initial en audit de surveillance puis d’audit de renouvellement avant de réentamer un nouveau cycle, chaque certifié devient un client récurrent.
Dès lors, il n’est pas anormal que des stratégies commerciales de captation de clientèle se soient développées : tarifs attractifs, audits bienveillants, services complémentaires pour garantir les audits à venir, l’essentiel est de se constituer une base solide pour les années futures et de fidéliser les certifiés.
Notons que le seul coût de la certification aura coûté environ environ 80 millions d’euros aux organismes certifiés (40 000 x 2 000 euros de coût moyen, le coût pouvant être inférieur pour les petites structures et plus élevé pour les organismes de plus grande taille), sans compter le temps passé en interne à préparer l’audit, ni les éventuels accompagnements, voire les dépenses engagées pour la mise en conformité. La qualité générée vaut-elle un tel prix ?
Une norme nécessairement alignée sur le plus petit dénominateur commun
Compte tenu de la diversité des organismes intervenant dans le champ de la formation, tant en termes de positionnement (activité principale ou non), de statut (professions libérales, associations, sociétés, établissements publics…) ou encore de taille ou de modèle d’organisation (intégré ou sans mur avec des sous-traitants), les exigences posées par le référentiel sont mises en œuvre et appréciées de manière très différentes d’un organisme à l’autre.
La norme doit en effet veiller à n’exclure personne par principe car cela reviendrait à rendre inaccessibles certains marchés. Elle est donc conçue sur un standard de qualité praticable par tous. Pour preuve, plus de 40 000 organismes ont obtenu la certification avec un taux d’échec très faible.
Une norme qui s’ajoute aux exigences des financeurs
Qualiopi est une norme d’entrée sur le marché, pas d’évaluation de la qualité réelle des actions réalisées. De ce fait, les financeurs (Opco, Régions, Pôle emploi,…) sont amenés à diligenter des contrôles portant sur la qualité des actions que Qualiopi n’évalue pas. Si l’on ajoute les contrôles financiers et les contrôles règlementaires, nombre d’organismes se retrouvent à passer un temps infini à justifier de leurs activités, sans compter les fréquentes incohérences entre les différentes approches du contrôle et de la qualité.
Des limites inhérentes à l’obligation
Même si une deuxième version de Qualiopi était adoptée, elle n’aurait pas d’impact sur les quatre limites inhérentes à l’obligation :
- Des objectifs insuffisamment spécifiés (et une valeur d’usage de ce fait non évaluée),
- Des candidats peu tentés par la qualité mais sommés d’obtenir la certification,
- Un marché florissant sur lequel l’intérêt de tous est de ne bousculer personne,
- Ue norme qui ne pourra pas monter bien haut le niveau d’exigence car elle doit intégrer la diversité des opérateurs et un contrôle supplémentaire qui n’en évite aucun autre et se surajoute à des pratiques d’évaluation auxquelles la cohérence fait souvent défaut.
Pourquoi la suppression de l’obligation est souhaitable
Qualiopi doit sanctionner une véritable excellence »Si Qualiopi est une norme qualité, elle ne doit viser que la qualité et s’intéresser non seulement à l’organisme mais également aux actions mises en œuvre. Elle doit être une norme d’excellence. Avec un niveau élevé et n’être pas nécessairement accessible à tous. Elle doit devenir, par ses qualités intrinsèques et ses effets, une norme de référence sur le marché.
Mais pour cela, elle doit être sélective, sanctionner une véritable excellence, et offrir les services d’une véritable norme qualité, c’est-à-dire servir de référence fiable aux utilisateurs.
Autrement dit, s’il s’agit vraiment de qualité et pas d’autre chose, faisons de Qualiopi une norme de référence centrée sur la qualité et laissons les financeurs définir les conditions d’engagement de leurs fonds et les conditions de contrôle de leur utilisation. Et que le choix d’aller vers un haut niveau de qualité soit un choix volontaire pour ceux qui souhaitent véritablement s’inscrire dans une démarche qualité, avec une certification qui aurait valeur de référence et cesserait d’être un standard minimal de qualité.
Conclusion
Si l’on veut une véritable étape 2 de Qualiopi, cela passe par une double exigence : supprimer le caractère obligatoire et rehausser sensiblement le niveau d’exigence. C’est à cette double condition qu’il pourra être véritablement question de qualité. Tant que l’on maintient l’obligation, on travaillera sur un plus petit dénominateur commun et, loin de contribuer à l’évolution qualitative du système, on maintiendra comme niveau nécessaire et suffisante une qualité standard que certains continueront d’enjamber avec la bénédiction des rentiers de la certification.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/12/2024 à 09:59