Comment traduire l’investissement formation dans les critères ESG ? (J-P Willems)
La performance extra-financière des entreprises est appelée à avoir un impact croissant sur leur attractivité, leur fonctionnement et leurs résultats. Parmi les critères ESG, figure notamment la formation des salariés.
Les agences de notation extra-financières sont donc amenées à évaluer la performance des entreprises dans ce domaine et notamment leur investissement formation. Cette appréciation pousse les entreprises à faire évoluer leurs indicateurs, traditionnellement centrés sur les moyens mobilisés, vers une appréhension de l’impact des actions menées, même si du chemin reste à parcourir.
Les indicateurs formation : une approche traditionnellement centrée sur les moyens
Les services formation ont longtemps communiqué sur leurs résultats à partir de données quantitatives centrées sur la consommation de formation et les moyens qui lui sont alloués. Le nombre de salariés formés, le nombre d’heures de formation, les domaines de formation concernés, les catégories de salariés formés et le budget consacré à ces actions sont ainsi des indicateurs qu’ont pratiqué tous les services formation.
Cette approche centrée sur la consommation de formation a le mérite de présenter ce qui a été fait et d’en rendre compte parfois de manière très détaillée.
La limite de ces présentations est de ne jamais répondre à la question du sens ou de l’efficacité. Pourquoi ces formations ont-elles été mises en place, quels objets poursuivaient-elles, quelle a été leur efficacité, qu’ont-elles apporté à l’entreprise, quelles compétences ont été capitalisées par les salariés sont des questions sans réponse dans un bilan centré sur la production et la consommation de formation.
L’exigence de mesurer l’impact et de définir des ROE (return on equity) ou ROI
Cette exigence est d’abord celle de l’entreprise portée à s’intéresser à l’impact des actions de formation qu’elle organise. Cette exigence de définir des retours sur investissement ou sur objectifs est devenu plus prégnante avec la diminution de l’obligation légale en 2015 (passée de 1,6 % à 1 % de la masse salariale) et corrélativement la fin du financement par la fiscalité des plans de formation.
C’est à cette période que l’on passe de l’utilisation d’un budget préexistant à la mise en place d’un véritable investissement formation puisque la loi du 05/03/2014 supprime, à compter du 01/01/2015, la possibilité de déduire fiscalement les dépenses de formation contrairement à ce qui existait jusque-là.
À cette exigence interne, s’ajoute celle des agences de notation extra-financières qui s’intéressent à la manière dont l’entreprise forme les salariés et développe leurs compétences. Leur regard porte moins sur les moyens déployés que les résultats obtenus. C’est ainsi que l’on voit apparaître :
- le taux d’accès en formation (pourcentage des salariés formés),
- les entretiens portant sur les compétences et les possibilités de les développer
- et quelques indicateurs ciblés témoignant de :
- l’approche inclusive de l’entreprise (égalité d’accès hommes/femmes, salariés en situation de handicap, jeunes, seniors, etc.),
- sa contribution au développement des salariés (part des formations internes),
- l’intégration des nouvelles technologies (part du e-learning),
- ou encore de la prise en compte des enjeux environnementaux (formations aux transitions écologiques, numériques, énergétiques…) ou éthiques (formation au management éthique, règles de gouvernance).
La place des indicateurs ESG (environnement, social, gouvernance) tend donc à croître dans la communication externe, contribuant souvent à la consolidation de la marque employeur.
Les indicateurs incontournables
Lorsque l’on se plonge dans les publications (bilans sociaux, rapport RSE, rapports aux agences extra-financières) des entreprises, on peut dégager une liste d’indicateurs qui traduisent le sens et l’ampleur de l’investissement formation des entreprises. On peut les regrouper de la manière suivante :
Indicateurs globaux
Ces indicateurs globaux comprennent :
- Le pourcentage de salariés formés chaque année,
- Le nombre d’années nécessaires pour former l’intégralité du personnel,
- Le nombre global d’heures (ou de jours) de formation, parfois exprimé en pourcentage du temps de travail consacré à la formation ;
- Le nombre d’heures par salarié formé.
Ils permettent d’avoir une approche globale sur les volumes de formation et la manière dont l’entreprise permet à tous les salariés d’accéder, ou non, à la formation.
Indicateurs portant sur les publics
Ils permettent de cibler certains publics définis comme prioritaires et de montrer le caractère égalitaire de la formation ou l’attention portée à certains salariés. On trouve ainsi des données sur :
- Les taux d’accès à la formation des femmes et des hommes ;
- Les taux d’accès selon la CSP (ouvriers, employés, techniciens, agents de maîtrise, cadres) ;
- Les taux d’accès à la formation des personnes en situation de handicap ;
- Le taux de contrats en alternance ainsi que les taux de transformation (embauches à l’issue de l’alternance) ;
- les formations spécifiques pour les représentants du personnel.
Avec la disparition des contrats de génération, les formations spécifiques aux seniors sont peu identifiées, ce qui pourrait éventuellement changer si un index senior était mis en place comme cela est envisagé par le Gouvernement dans le cadre de la réforme des retraites.
Indicateurs thématiques
Les entreprises ont une double approche en ce domaine : à côté d’une ventilation assez classique des formations organisées en différents domaines (métiers ou techniques, management, HSE/hygiène, sécurité, environnement, qualité, langues,…), apparaissent des domaines spécifiques qui font l’objet d’un suivi particulier.
On peut notamment relever que certaines entreprises valorisent les formations règlementaires (obligations métiers et non obligations générales), les formations réalisées à distance, les formations ESG ou encore les formations certifiantes. Pour ces dernières l’approche est large puisque sont souvent prises en compte les certifications officielles (figurant au RNCP ou au RSCH) mais également les certifications professionnelles (liées à des règlementations spécifiques), les certifications constructeurs (liées à l’utilisation d’outils) ou encore les badges de toute nature.
L’entreprise formatrice
De plus en plus d’entreprise valorisent le fait de réaliser elles-mêmes la formation de leur personnel. Cela se traduit par la part de formation interne, le nombre de formateurs internes ou encore l’existence de formations en libre-service (sur des plateformes d’e-learning le plus souvent).
Ces données permettent d’identifier un effort spécifique propre à l’entreprise pour favoriser le développement des compétences.
À travers ces indicateurs, l’entreprise tend à se présenter comme un lieu de développement de compétences et pas seulement comme un lieu de travail.
L’investissement formation
Il n’est plus défini par la loi mais beaucoup d’entreprises ont continué d’utiliser les anciens indicateurs légaux : les dépenses de formation sont ainsi traduites en pourcentage de la masse salariale et comprennent les coûts directs de formation (achats, déplacements) et les salaires des salariés formés. S’y ajoutent les contributions versées à l’Urssaf (les 1,67 % de la CUFPA/contribution unique à la formation professionnelle et à l’apprentissage) bien que ces sommes ne soient pas utilisables pour la formation des salariés, ce qui fausse considérablement d’ailleurs le calcul des coûts de formation internes si l’on rapporte le nombre de salariés formés à l’investissement formation global incluant les contributions.
Dans le chiffrage de l’investissement formation, des données sont cependant peu présentes : le coût de fonctionnement du service formation, les salaires des formateurs incluant les temps de préparation, les coûts internes mobilisés pour la production des formations (salles, équipements, etc.).
Quelques indicateurs plus innovants
Les indicateurs les plus fréquents tendent à mieux montrer les efforts spécifiques réalisés par l’entreprise et la manière dont elle évolue vers une organisation sinon apprenante du moins offrant de larges possibilités de développement des compétences à ses salariés.
Toutefois, le chemin reste encore long pour avoir des indicateurs véritablement orientés vers l’impact et les résultats des formations mises en place. Les entreprises qui ont entrepris d’avancer sur ce chemin ont déterminé des indicateurs supplémentaires tels que :
- La part des salariés qui considèrent que les formations suivies ont eu un impact positif (information collectée via des enquêtes RH ou lors des entretiens manaéeriaux ou professionnels) ;
- La part des programmes de formation qui comportent une évaluation du ROI ou ROE (ces évaluations pouvant être de natures différentes) ;
- La part de salariés ayant un parcours de développement individuel ou un coaching individuel (marque d’une personnalisation toujours plus forte de la formation après une période de gestion très collective et très industrialisée : la personnalisation est toutefois fortement consommatrice de ressources et le manque de moyens RH est souvent sa limite) ;
- Le volume des formations en libre service ou demandées par les salariés, dans une logique d’autonomisation des salariés dans l’accès à la formation ;
- Les accompagnements individuels à travers des entretiens d’évolution de carrière, de développement de compétences, des bilans de compétences, des VAE, des abondements du CPF ou le financement de projets de reconversions ou de formations suivies en dehors du temps de travail ;
- La création d’Universités d’entreprise, de centres de formation, de CFA d’entreprise qui témoignent d’une volonté de jouer un rôle actif dans la production de formation et la capacité à mobiliser des ressources de formation structurées au profit des salariés. Ces indicateurs contribuent à établir l’image d’organisations apprenantes dans laquelle les salariés ont de multiples opportunités de développement des compétences.
Conclusion
Comme on peut le constater, diverses motivations (exigence de résultats pour l’investissement formation, développement de l’attractivité et de la marque employeur, pression des agences de notation…) conduisent les entreprises à compléter (plutôt que remplacer) les indicateurs traditionnels qui rendent compte de l’effort et du sens de la formation par des indicateurs nouveaux qui tendent à valoriser l’impact des formations suivies mais également, et peut être surtout, la manière dont l’employeur garantit le développement des compétences de ses salariés dans une logique de performance sociale.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/12/2024 à 09:59