Contrats d’apprentissage : Pourquoi le taux de rupture moyen de 28 % ne veut rien dire (J-P Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°276586 - Publié le
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Le chiffre est souvent brandi par les contempteurs de la réforme de l’apprentissage et marquerait la preuve d’un échec qualitatif au-delà de son indéniable succès quantitatif. Or non seulement  le taux de rupture est constant avant et après la réforme, mais il est impossible de déduire quoi que ce soit de ce taux moyen sans entrer dans une analyse plus fine des ruptures, du moment où elles interviennent, de ce qui les génère mais également des suites qui leur sont données.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


Un taux de rupture constant avant et après la réforme 

Henri Laborit disait qu’un être vivant est une mémoire qui agit. Réveillons donc la mémoire de ceux qui découvrent les taux de rupture des contrats d’apprentissage.

Un indicateur peu pertinent pour l’évaluation de la réforme

Avant la réforme ce taux oscillait entre 29 et 30 %, il était par exemple de 29 % en 2015 et en 2016. Avec un triplement du nombre d’apprentis, le taux est resté à peu près au même niveau et a même légèrement régressé. Le premier constat est donc qu’utiliser ce chiffre pour procéder à une évaluation de la réforme de l’apprentissage est peu pertinent. D’autant qu’il s’agit d’un chiffre. Brut et non d’un chiffre net, c’est-à-dire celui qui prendrait en compte le nombre d’apprentis qui ont rompu un contrat mais en ont conclu une autre ensuite et ont terminé leur parcours. Par définition, le taux moyen net est inférieur à 28 %.

Mais il faut encore aller au-delà.

Une moyenne qui cache de grandes disparités

Le taux de rupture est supérieur à 30 % pour les contrats de niveau bac ou infra bac et de l’ordre de 10 % pour les contrats conclus pour des études supérieures.

De moins de 10 % à 40 % de taux de rupture selon les secteurs

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet écart :

  • La plus grande maturité des jeunes en matière de choix du cursus ;
  • Les procédures de recrutement plus exigeantes des entreprises qui conduisent à une plus grande sélection en amont du contrat ;
  • La meilleure connaissance de l’entreprise et de ses codes pour un jeune de plus de 20 ans qui aura déjà pu avoir des expériences professionnelles (jobs étudiants, boulots d’été, stages…) ;

Au final, il est logique que les questions d’orientation, de maturité, de capacité à intégrer l’entreprise, d’autonomie, de réponse aux exigences de l’entreprise soient plus élevées avec l’âge, même si celui-ci ne coïncide pas mécaniquement avec la maturité.

Par ailleurs, la Dares relève que les taux de rupture culminent pour plusieurs métiers ou secteurs d’activité à 40 voire 50 % alors que pour d’autres il n’atteint pas les 10 %. L’hôtellerie-restauration par exemple connaît un taux de rupture de 40 %.

Un chiffre à rapprocher des taux de turn-over des métiers

Ces chiffres devraient être rapprochés du taux de turn-over existant dans ces métiers ou secteurs. En effet, s’il existe des raisons pour que les salariés quittent plus souvent qu’ailleurs l’entreprise dans des délais courts, pourquoi les apprentis devraient-ils échapper plus que d’autres à ces causes de rotation élevées qui peuvent tenir aux conditions de travail, aux relations de travail, à la nature de l’activité, aux horaires pratiqués, etc. Il est assez logique que pour des emplois à fort turn-over on constate des taux de rupture des contrats d’apprentissage plus élevés, sans qu’ils puissent être imputés particulièrement à l’apprentissage puisqu’ils sont avant tout dus aux conditions d’exercice des activités.

Des ruptures non-problématiques 

Il existe deux catégories de rupture qui ne sont guère problématiques : celles qui interviennent pendant la période d’essai et celles qui interviennent après l’obtention du diplôme.

Concernant les ruptures pendant la période d’essai, elles représentaient avant la réforme entre 10 et 15 % des ruptures. Difficile de les considérer comme des anomalies dans la mesure où c’est l’objet même de l’essai que de vérifier si la relation peut s’établir durablement. Que l’on constate rapidement (la période d’essai n’est que de deux mois) que tel n’est pas le cas permet d’éviter de s’engager trop avant dans une relation qui a peu de chance d’être profitable.

De même, entre 3 et 5 %, selon les études, des ruptures interviennent après l’obtention du diplôme et n’ont donc pas d’impact négatif sur le parcours professionnel. Il s’agit de ruptures à l’initiative du jeune le plus souvent, notamment ceux qui ont obtenu le diplôme en juin et ne souhaitent pas rester apprentis en juillet/août, soit parce qu’ils basculent directement sur un emploi, une activité d’été…ou des vacances avant de prendre un emploi à la rentrée.

Tous ces cas de rupture constituent des cas non-problématiques au regard des parcours professionnels.

Pour les ruptures problématiques, des causes multiples

Pour les ruptures restantes, il faudrait examiner les causes réelles de ces ruptures et la part de celles qui résultent d’une décision de l’apprenti, d’une décision commune ou d’une décision unilatérale de l’employeur. Car grande est la variété des causes possibles de rupture du contrat. Citons en quelques-unes sans souci de hiérarchie ni d’exhaustivité :

  • La mauvaise qualité de la relation qui finit par rendre impossible la poursuite du contrat, notamment pour les contrats longs ;
  • L’incapacité de l’apprenti à atteindre le niveau d’exigence requis par l’entreprise ou à suivre la formation ;
  • La volonté du jeune de ne pas poursuivre dans la voie choisie après en avoir testé les conditions réelles d’exercice au-delà de la période d’essai  ;
  • Les absences de l’apprenti (justifiées ou non) qui conduisent à mettre fin au contrat faute de pouvoir l’exécuter correctement ;
  • L’embauche par l’entreprise avant la fin du contrat pour garantir que l’apprenti restera dans l’entreprise à l’issue de son contrat. Et dans une version moins vertueuse, la rupture avant terme, assortie de la conclusion d’un nouveau contrat pour bénéficier de la prime à l’embauche pour la deuxième année  subitement transformée en première année ;
  • La saisie par l’apprenti d’une opportunité nouvelle, l’apprentissage n’ayant été pour lui qu’une solution d’attente ;
  • La survenance d’évènements personnels (difficultés financières, déménagement, changement de situation sociale,…) qui rendent impossible la poursuite du contrat ;
  • Le zapping vers un autre contrat d’apprentissage tant l’offre d’apprentissage s’est développée et permet aux jeunes de choisir parmi différentes opportunités, la majorité des CFA ayant davantage d’offres d’embauches que de jeunes à présenter aux entreprises ;

Assimiler rupture et échec ne correspond pas à la réalité

Comme on peut le constater, brandir le chiffre de 28 % de taux de rupture pour porter un jugement sur la réforme de l’apprentissage relève soit de la méconnaissance soit de la mauvaise foi.

Une analyse fine nécessaire prévenir les ruptures

Mais au-delà de la dimension polémique, il existe un véritable enjeu : si l’on veut lutter contre les ruptures anticipées de contrat, il est indispensable de réaliser une analyse fine des causes de rupture et de ne pas se baser sur quelques exemples pour les généraliser hâtivement.

Car si l’on reprend l’ensemble des causes de rupture identifiées ici, et qui ne sont pas exhaustive, elles appellent des modes de prévention différents et certaines ne relèvent d’ailleurs pas particulièrement de la prévention tant elles sont inhérentes à la vie normale d’une relation de travail.

Le rôle des Opco et des CFA dans une analyse fine des causes de rupture

Les mieux placés aujourd’hui pour réaliser cette analyse fine des causes de rupture sont les Opco, qui disposent de la donnée statistique, de la relation avec les entreprises et les CFA et de la connaissance des secteurs et des métiers, et les CFA, qui sont les témoins, et parfois les acteurs, des ruptures.

On ne peut que les engager à partager leurs informations et diagnostics afin que d’une part on puisse prendre la véritable mesure des ruptures des contrats d’apprentissage et que si des politiques de prévention de ces ruptures doivent être mises en place elles le soient à bon escient et non à partir de supputations plus ou moins bien étayées.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/12/2024 à 09:59

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