« Des PME ayant placé l’emploi au cœur de leur modèle de création de valeur » (P. Deheunynck)

News Tank RH - Paris - Entretien n°272936 - Publié le
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Pierre Deheunynck - © France compétences

« Nous avons voulu montrer comment des entreprises (PME/ETI) pionnières ont inscrit le développement de l’emploi et l’adaptation en continu des compétences au cœur de leur modèle de création de valeur », déclare Pierre Deheunynck Président du CA @ France compétences • Membre du Conseil d’administration en tant que personnalité qualifiée @ France compétences
, président du Conseil d’administration de France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… et l’auteur, avec trois co-auteurs, d’un livre blanc intitulé : « Des entreprises pionnières, créatrices de valeur par l’emploi et les compétences ».

La cible d’entreprises retenues grâce aux réseaux respectifs des auteurs était constituée d’entités ayant « une façon singulière de gérer l’emploi et les compétences, considérant que c’était au cœur de leur efficacité globale », indique Pierre Deheunynck. « Au fur et à mesure de notre investigation, nous nous sommes aussi rendu compte que toutes ces entreprises avaient réfléchi aux organisations du travail pour que les salariés aient plus d’autonomie et de responsabilités, qu’elles étaient préoccupées par la qualité de l’emploi (emplois à temps plein, qualifiés), qu’elles avaient choisi de partager la valeur et qu’elles étaient très impliquées sur leur territoire. »

Autre singularité : « Que ce soit des dirigeants d’entreprises familiales ou des dirigeants de filiales de groupes, tous ceux que nous avons rencontrés sont inspirés par un “personal purpose” . Ils ont une raison d’être propre et une vision de ce que doit être leur responsabilité dans la vie et la société. Quand ils sont dans l’entreprise, ils s’attachent à être alignés sur cette vision, à créer de la valeur sociale, et économique pour que leur entreprise soit durable. »


Pierre Deheunynck répond aux questions de News Tank

Quelle est la genèse de ce livre blanc ?

Éviter le risque de voir les PSE se multiplier en sortie de crise »

Avant de quitter le Groupe Engie • Statut : société anonyme• Création : devient GDF Suez en 2008 à la suite de la fusion de Gaz de France et Suez puis Engie en 2015• Mission : production et distribution d’énergie• Présent dans 31… en septembre 2020, je présidais le Club des DRH du Cac 40 et, au début de la crise sanitaire, en mars 2020, nous étions nombreux à nous inquiéter de ses conséquences en termes d’emploi et d’augmentation du chômage. Tout au long de l’année, j’ai organisé des « teams » hebdomadaires avec mes homologues pour échanger sur cette crise. Lorsque nous en sommes sortis, j’ai proposé de m’engager (pro bono) dans la rédaction d’un livre blanc dont l’objectif était de repérer au sein des PME et des ETI des bonnes pratiques de gestion de l’emploi et des compétences qui permettaient de rebondir et d’éviter le risque de voir les plans sociaux se multiplier en sortie de crise. Il s’agissait de voir comment ces pratiques pouvaient créer de la valeur et être un facteur de résilience.

J’ai proposé à un ami, Daniel Baroin [expert en design organisationnel, cofondateur de l’Observatoire de l’engagement, ancien directeur de l’organisation et de la formation du Groupe Danone • Multinationale alimentaire française • Création : 1919• Mission : proposer une offre en produits laitiers et d’origine végétale, en eaux, en nutrition infantile et en nutrition… dont Pierre Deheunynck a été le DRH] de conduire ce travail. Nous avons passé environ huit mois à visiter des entreprises. Puis nous avons eu l’idée de collaborer avec une business school, l Création : 1819 Statut : école consulaire de la CCI Paris-IDF Direction : Frank Bournois (DG) Campus : • Paris • Londres • Berlin • Madrid • Turin • Varsovie Chiffres… ESCP. Son directeur général, Franck Bournois s’est tout de suite montré intéressé et il a monté une équipe.

Parti d’une initiative personnelle, le livre blanc est finalement le fruit d’un travail d’équipe, porté par le monde universitaire. Nous sommes quatre co-auteurs : Daniel Baroin, Dominique Pépin (enseignant à l’ESCP), Jean-François Pilliard professeur affilié - président de la chaire dialogue social @ ESCP Business School (ESCP) • Membre du collège des personnalités qualifiées dans le domaine économique (vie économique et sociale) … professeur affilié à l’ESCP), et moi-même.

Vous signez en tant que président de France compétences dont le CA est quadripartite avec des administrateurs salariés. Ne craignez-vous pas que ceux-ci vous le reprochent ?

Je suis un administrateur nommé par décret présidentiel siégeant au sein du collège des personnalités qualifiées. Je peux malgré cela exprimer mes analyses et opinions sans avoir à effacer ma fonction. Au conseil d’administration, je m’exprime comme les autres administrateurs. C’est d’ailleurs ce que je fais lors des réunions du conseil. Ma première prise de parole au CA, lorsque j’ai été nommé pour succéder à Jérôme Tixier
(ex-DRH de L’Oréa • Groupe industriel français de produits cosmétiques• Création : 1909• Mission : créer des produits cosmétiques, avec un portefeuille international de 36 marques• Effectif : 88 000 collaborateurs… l),  a porté sur les compétences. C’est un sujet que je considère comme consensuel pour toutes les composantes de la gouvernance de France compétences. Elles sont en effet au cœur de la lutte contre le chômage, de la résorption des tensions de recrutement, et de l’adaptation des individus et des entreprises aux transformations numériques et à la transition écologique. C’est aussi une aspiration légitime pour chacun de progresser en compétences tout au long de sa carrière.

D’autre part, j’estime que le sujet du livre blanc n’est pas polémique puisque nous citons des entreprises qui sont performantes à la fois sur le plan économique et social et qui ont fait de leurs compétences le moteur de leur efficacité globale.

Comment la ministre Carole Grandjean DGRH @ Groupe Etam
a-t-elle accueilli votre livre blanc ?

Nous l’avons remis à la ministre déléguée à l’Enseignement et à la Formation professionnels lors de sa présentation le 01/12/2022 dans la soirée. Dans la journée, nous lui avions proposé de visiter l’entreprise Alenvi (service d’aide à domicile) que nous avons rencontrée dans le cadre de l’élaboration du livre blanc. Cette entreprise à vocation sociale a fait de l’emploi et des compétences un modèle très central de son fonctionnement et créé un centre de formation (Compani) centré sur une offre de solutions dédiées aux organisations d’aide à domicile souhaitant mettre l’humain et les compétences au cœur de leur fonctionnement. 

Je l’ai également présenté à d’autres acteurs publics que j’avais tenus informés de nos travaux à l’occasion de leur lancement. Nous n’avons retenu pour ce travail que des entreprises qui affichent de très bonnes pratiques de gestion de l’emploi et des compétences, des entreprises focalisées sur le développement des compétences pour encourager l’employabilité mais aussi contribuer à leur performance économique.

L’objectif du livre blanc est de faire en sorte que ces pratiques soient connues et qu’elles servent d’exemple à d’autres entreprises.

Comment avez-vous sélectionné les entreprises ?

Nous avons visité de nombreuses entreprises et retenu les plus performantes sur le plan social et économique. Une grande partie des entreprises ont été sélectionnées en activant nos réseaux. À titre d’exemple, je suis membre du conseil d’administration de l’École de Paris du Management, un think tank issu de l’École des Mines de Paris qui réunit des entreprises et des chercheurs et dont Michel Berry, le délégué général m’a communiqué de nombreux noms d’entreprises.

La cible était constituée d’entreprises qui avaient une façon singulière de gérer l’emploi et les compétences, considérant que c’était au cœur de leur efficacité globale. Au fur et à mesure de notre investigation, nous nous sommes rendu compte que :

• Toutes ces entreprises ont réfléchi aux organisations du travail pour que les salariés aient plus d’autonomie et de responsabilités ;

• Elles ont fait de l’emploi et des compétences un levier de leur efficacité. Ainsi SEB Groupe spécialisé dans le petit équipement domestique, soin de la Maison, soin de la personne, cookware, électrique culinaire, industrie et innovation avec un portefeuille de plus de 30 marques… a réussi à maintenir 11 usines en France malgré les écarts de coûts en masse salariale avec les pays asiatiques, grâce à l’automatisation, la montée en compétences des équipes et la réactivité et proximité client ;

• Toutes les entreprises que nous avons vues sont préoccupées par la qualité de l’emploi (emplois à temps plein, qualifiés). Elles réfléchissent à la manière de mieux rémunérer leurs salariés. Ces entreprises sont attentives aux conditions d’emploi et de vie au travail qui constituent un facteur d’attractivité et de fidélisation, que ce soit au niveau des rythmes de travail, de ses formes d’emploi (le CDI reste la référence), de l’autonomie accordée, de la qualité des interactions entre les personnes.

Ces organisations gagnent aussi en efficacité du fait de la montée en compétences des salariés qui permet de limiter le nombre de niveaux hiérarchiques.

• Ce sont des entreprises qui ont décidé de partager la valeur  : un niveau de rémunération supérieur au marché, des mécanismes d’intéressement - y compris pour les petites entreprises - et des parcours de progression professionnelle en lien avec le développement des compétences ;

• Ces entreprises sont très impliquées sur leur territoire. Elles n’ont pas peur de partager les compétences à cause de la concurrence par exemple. Ce sont des entreprises dont l’ouverture est très forte. Elles sont conscientes de l’importance de l’interaction avec les différents acteurs au niveau local (administration, communes, communautés de communes, associations, entreprises de différents secteurs d’activités) pour accélérer ou mutualiser des projets de développement ;

• Autre singularité : que ce soit des dirigeants d’entreprises familiales ou des dirigeants de filiales de groupes, tous ceux que nous avons rencontrés sont inspirés par un « personal purpose ». Ils ont une raison d’être propre et une vision de ce que doit être leur responsabilité dans la vie et la société. Quand ils sont dans l’entreprise, ils s’attachent à être alignés sur cette vision, à créer de la valeur sociale, et économique pour que leur entreprise soit durable. La famille Rocher • Groupe familial contrôlé à plus de 99 % par la famille du fondateur Yves Rocher • Création : 1959 • 9 marques  : Yves Rocher, Petit Bateau, Arbonne, Stanhome, Dr Pierre Ricaud, Kiotis, ID… en est un des exemples les plus emblématiques. Yves Rocher a créé son entreprise pour procurer des emplois sur son territoire, le Finistère, pour que ses habitants ne le désertent pas. 

Toutes ces entreprises ont été plus innovantes dans la perspective de créer de l’emploi. C’est le cas du Groupe Michelin • Fabricant de pneumatiques • Création : 1889• Effectif  : 132 000 personnes dont 19 000 en France dont 9 000 dans l’industrie, sur 15 sites• Chiffre d’affaires : 28,3 Md€ (2023)• PDG : Florent… à Dundee en Écosse qui a travaillé avec l’administration régionale pour faire venir et développer des activités nouvelles et répondre aux besoins de 900 salariés dont les postes avaient été supprimés à la suite de la fermeture du site. Une démarche similaire a été engagée à la Roche-sur-Yon en France et à Bamberg en Allemagne.

La création d’un nouveau modèle générant performance durable et emplois de qualité résulte d’un processus systémique et pas de leviers isolés : de bonnes conditions de travail, une politique de formation efficace, des pratiques innovantes de développement des compétences, etc.

• « Au centre du modèle, un moteur puissant, directement lié au dirigeant, qu’il soit ou non propriétaire, que l’on pourrait qualifier de personal purpose. C’est une vision professionnelle, qui se nourrit d’une mission personnelle, celle-ci influençant les conditions dans lesquelles ils exercent leur responsabilité de dirigeant. Cette dynamique du personal purpose n’est pas nouvelle. Il y a 50 ans, Antoine Riboud, le fondateur de Danone, dans son discours devant la communauté patronale à Marseille, disait s’engager pour “l’avoir et l’être” (…). »

• « Pour toutes les entreprises interviewées, l’emploi et le développement des compétences sont un objectif pour lequel elles s’investissent, convaincues de l’efficacité du levier pour l’engagement des salariés, leur pouvoir d’achat et la performance durable de l’entreprise (…). »

• « Les dirigeants rencontrés dialoguent avec les salariés et leurs représentants pour que l’organisation du travail bénéficie au mieux des compétences, de l’intelligence et de la responsabilité individuelle et collective des salariés. »

 « La qualité des emplois est également un facteur d’attention, ils s’engagent pour que l’emploi soit durable ou le devienne parce qu’ils investissent dans les compétences et le développement de l’employabilité de leurs collaborateurs. »

• « L’amélioration des conditions de travail et de la rémunération est posée comme une composante importante de la motivation et de l’efficacité des salariés. Au-delà du pouvoir d’achat, il est question dans ces entreprises d’équité, de responsabilité et de respect. »

• « Ces dirigeants sont engagés au sein des territoires, ils sont convaincus qu’un bassin d’emploi compétitif participe à la compétitivité et à l’attractivité de leur entreprise. Ils ne s’inquiètent pas de la concurrence, ils co-construisent les conditions du développement des compétences, facteur clé de leur engagement et de leur succès. »

Source : Livre blanc, conclusions, p. 43

Pierre Deheunynck

Parcours

France compétences
Président du CA
France compétences
Membre du Conseil d’administration en tant que personnalité qualifiée
Association Elles bougent
Président d’honneur
France compétences
Président du Conseil d’administration par intérim
Engie
Directeur général adjoint en charge des ressources humaines groupe
Crédit Agricole
DRH groupe, senior executive vice president
Danone
Directeur général - développement des Hommes et des Organisations
Danone
DRH Asie-Pacifique
Danone
DRH Corporate France
Danone
DRH de la Division des Opérations de Danone Produits Frais (France)
Danone
DRH de Stenval, Danone Produits Frais (France)
Danone
Responsable Recrutement de Lu puis Responsable Relations Sociales d’Heudebert,
groupe BSN
Chargé de l’organisation industrielle de la Verrerie de Masnières

Établissement & diplôme

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Maîtrise de Droit Social

Fiche n° 32821, créée le 25/09/2018 à 17:56 - MàJ le 06/10/2021 à 14:52

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