Réforme de la VAE : vingt ans après, un second souffle salutaire (Jean-Pierre Willems)
Vingt ans après l’adoption de la loi du 17/01/2002 qui a créé la VAE, le Parlement vient d’adopter un texte dont la brièveté ne doit pas masquer l’importance.
Un seul article suffit à profondément rénover le dispositif et lui apporter des changements majeurs. Le plus remarquable est que le texte arrive à prendre en compte la dimension historique de la VAE, ses modalités techniques et les perspectives d’avenir. Il ne manquera qu’un dernier effort pour la fluidification totale du dispositif : lever les freins à son application aux professions réglementées.
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
, pour News Tank.
La sortie de la VAE du Code de l’Éducation : une rupture historique… actée vingt ans plus tard
Vincent Merle, présenté à juste titre comme le « père » de la VAE, témoignait des arbitrages auquel la loi avait dû procéder pour que l’Éducation nationale ne s’oppose pas à la création de la VAE, notamment en prévoyant l’enregistrement de droit des diplômes délivrés par les Ministères dès lors qu’ils sont élaborés en CPC (Commission paritaire consultative) ou encore en refusant à la CNCP aujourd’hui remplacée par la Commission certification de France compétences) la possibilité d’imposer des équivalences ou des passerelles.
Si le texte ne revient pas sur ces compromis de l’époque (un chantier à venir ?), il acte par contre, de manière explicite, que la VAE concerne l’ensemble des certifications de la même manière et qu’il n’y a pas lieu qu’elle prenne place dans le code de l’Éducation, la logique voulant qu’elle relève exclusivement du Code du travail.
L’Éducation nationale, qui est le premier des certificateurs quantitativement, reste un certificateur et non un régulateur de la VAE.
La redéfinition des activités pouvant être prises en compte
Les activités prises en compte pour la VAE ont toujours exclu les activités personnelles. L’actuelle liste de l’article L. 613-3 du Code de l’Éducation vise les activités professionnelles, salariées ou non, le bénévolat ou volontariat, les mandats électoraux ou syndicaux ou les sportifs de haut niveau.
Dans tous les cas, l’activité est caractérisée par un contexte social, qui est certes plus large que le seul contexte professionnel, mais impose d’agir dans un environnement extérieur. Cette exigence a une double motivation : se rapprocher autant que faire se peut du contexte professionnel pour le développement et l’appréciation des compétences et permettre de rapporter des preuves de l’exercice de l’activité.
Le projet de loi prévoyait de rajouter à cette liste les expériences de proche aidant, d’aidant familial ou l’éducation de ses enfants. Cet ajout revenait à faire entrer des activités personnelles, s’exerçant dans le strict contexte familial, dans le champ de la VAE. Le Sénat a supprimé cette énumération pour ne retenir qu’un principe, ce qui est sans contexte une meilleure méthode rédactionnelle. Ainsi, toute activité en rapport direct avec la certification retenue pourra être prise en compte.
C’est au final le certificateur plutôt que le législateur qui définira concrètement si l’activité peut, ou pas, être considérée comme en relation directe avec la certification visée. Dans cette appréciation il devra tenir compte du fait que le législateur a souhaité ouvrir largement la nature potentielle de ces activités qui ne pourront donc être exclues par nature, ce qui en cas de refus nécessitera que le certificateur indique en quoi les conditions d’exercice de la compétence sont trop éloignées du contexte professionnel.
Prenons un exemple : avec la liste des activités visées, il n’était pas possible à une personne qui a construit sa maison de faire valider les compétences mises en œuvre (l’activité ne relevant ni du professionnel, ni du bénévolat, ni d’un mandat), ni à celle qui produit des photographies de qualité en amateur de faire prendre en compte son travail s’il est resté personnel.
Ce sont ainsi toutes les compétences développées dans des activités strictement personnelles (la cuisine par exemple) qui pourront désormais être validées dès lors que les modalités de validation permettent leur prise en compte.
De manière incidente, on peut noter que le travail méthodologique porté par la Commission de la certification de France compétences a conduit à systématiser la description du contexte professionnel dans l’expression de la compétence au sein des référentiels des certifications. Il faut souhaiter que ces définitions précises ne fassent pas obstacle à la prise en compte de contextes différents qui ont pu permettre le développement de la compétence sans, par définition, correspondre au contexte d’exercice professionnel.
La VAE possible pour les blocs de compétences
C’est un point clé de la réforme. La possibilité d’entreprendre une VAE pour un, ou plusieurs, blocs de compétences et non obligatoirement pour le titre ou diplôme complet, est sans doute la nouveauté qui est le plus susceptible de relancer la dynamique de la VAE.
Les candidats ne seront plus obligés de s’engager dans un parcours lourd de VAE pour l’ensemble d’un diplôme et pourront procéder de manière progressive en commençant par les validations les plus évidentes. Cela permettra d’une part d’alléger la charge pour une première validation, de réduire drastiquement les abandons en cours de parcours et d’enclencher des dynamiques de succès.
Pour que tout cela soit possible, deux conditions toutefois :
- Que les certificateurs rendent lisibles les parcours possibles et les conditions de validation de chacun des blocs, qui pourraient être différenciées en fonction des compétences à valider ;
- Que des jurys se tiennent de manière suffisamment régulière pour que le parcours complet ne se chiffre pas en années, même s’il est effectué étape par étape.
Une hybridation du parcours de VAE
En complément de la validation par bloc, la loi prévoit de manière explicite la possibilité de construire des parcours associant validation, formation et mise en situation (soit pour acquérir des compétences, soit pour les valider). Il est même prévu qu’à titre expérimental, le temps de validation soit pris en compte comme un temps de formation dans le cadre des contrats de professionnalisation (peut-être ne faudra-t-il pas attendre trop longtemps pour étendre cette possibilité à tous les dispositifs de formation, sachant qu’il est d’ores et déjà établi que la VAE génère systématiquement un développement des compétences).
Cette hybridation des parcours, qui se pratiquait déjà en marge des textes, confère un rôle clé au travail de positionnement en amont pour identifier les parties de certification validables et celles qui devront donner lieu au suivi d’une formation ou à d’autres modalités d’acquisition des compétences. Ce travail de positionnement pourra être assuré dans le cadre du service public de la VAE, ou par le CEP ou encore dans le cadre d’un bilan de compétences ces deux outils étant suffisamment plastiques pour pouvoir se prêter à l’exercice. Peut-être faudra-t-il envisager d’en rendre possible le financement de manière autonome de l’action de VAE à suivre pour encourager la démarche. Sauf à s’en tenir aux outils déjà cités ou à considérer que, comme pour le recrutement des apprenants, le coût du travail amont est inclus dans la prestation à suivre.
Des assouplissements pour les jurys
C’est un des verrous principaux du dispositif. Si l’on veut valider massivement, il faut des jurys nombreux qui procèdent à ces validations. Et rien de pire pour la motivation que de s’engager dans un parcours en sachant que jury il n’y aura que dans un an. Si le nombre de jurys n’augmente pas, la loi n’aura que des effets très limités. Pour régler cette question, le choix a été fait de renvoyer à l’exécutif, donc à un décret, le soin de déterminer la composition et les modalités de fonctionnement des jurys. La volonté du Ministère, et le travail engagé depuis plus d’un an notamment avec les ministères certificateurs, est de réduire les contraintes pesant sur les jurys (en nombre de membres par exemple) et de créer les conditions d’une validation « en continu » des parcours de VAE.
Le succès de la réforme devra beaucoup à la manière dont ce point sera traité et intégrera également la question du financement des participations à ces jurys. La question d’une professionnalisation de la fonction de jury ne doit pas être taboue si l’on veut véritablement viser 100 000 VAE par an. C’est d’ailleurs une pratique existante chez certains certificateurs.
Un service public de la VAE
Le Groupement d’intérêt public (GIP) prévu par la loi nouvelle associe largement : l’État, les régions, Pole Emploi, l’Agefiph, les Opco, les commissions transitions pros et la liste n’est pas exhaustive. Il s’agit toutefois de la liste des membres et non de la composition du Conseil d’Administration. Il reviendra à un décret de définir la gouvernance de la structure et ses modalités de financement et de fonctionnement.
De même qu’il faudra établir la ligne de partage entre le « faire », ce que le GIP prend en charge directement dans les missions de service public en matière de VAE, et le « faire faire » autrement dit ce qui relèvera de partenaires ou d’initiatives que le GIP se contentera soit de coordonner soit de capitaliser.
Des impacts multiples
Tout l’écosystème de l’emploi, de la formation et de la certification est potentiellement impacté par cette réforme en profondeur de la VAE.
- Pour l’offre de formation par exemple, c’est l’occasion de construire des parcours nouveaux, hybrides, de proposer de nouveaux services pour l’accès à la certification et de toucher de nouveaux publics.
- Pour les certificateurs, c’est la possibilité de développer l’impact de leur certification là aussi en proposant des parcours variés, personnalisables et en touchant plus largement les publics potentiellement concernés.
- Pour les financeurs de la formation, c’est potentiellement une nouvelle manière d’envisager le financement de parcours certifiants. Pour les entreprises ce sont des opportunités nouvelles en matière de professionnalisation et pour les salariés un accès facilité à la certification.
- Pour les branches professionnelles, et notamment celles qui disposent de certifications propres, c’est la possibilité de décliner différemment les politiques de formation dont elles sont porteuses avec l’appui des Opco.
- Enfin, pour les Commissions Transition Pro c’est la possibilité d’offrir une plus grande diversité de parcours à d’avantages de personnes avec les mêmes enveloppes si l’on considère que le temps de validation sera systématiquement inférieur au temps de formation.
Comme on le voit, un court texte peut être porteur d’immenses enjeux.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/12/2024 à 09:59