Attirer, recruter, fidéliser : le véritable enjeu des CFA (Jean-Pierre Willems)
La rentrée focalise l’attention des CFA sur l’évolution des niveaux de prise en charge et l’entrée en vigueur de la régulation financière annoncée sur le financement du dispositif. Sans négliger l’importance de la question, elle n’apparaît pourtant pas comme majeure au regard de l’avenir de l’apprentissage et de son développement.
La logique du coût contrat ne doit pas faire oublier que l’équation des ressources d’un CFA s’écrit sous la forme du NPEC x le nombre d’apprentis. Et si le NPEC baisse de 5 à 10 %, le risque nous paraît bien plus important de voir le nombre de candidats évoluer à la baisse et les ruptures à la hausse dans ce qui pourrait être, pour certains CFA, un effet de ciseau fatal.
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
, pour News Tank.
Des signaux à ne pas négliger
La réforme de l’apprentissage a consisté à créer un environnement favorable à son développement : garantie de financement de tous les contrats, NPEC fixés à un niveau plutôt élevé, aides massives aux entreprises y compris à titre exceptionnel, etc. Cet appel d’air a eu les résultats escomptés le nombre d’apprentis faisant plus que doubler tout comme celui des CFA, la demande des jeunes et des entreprises étant au rendez-vous.
Pour autant, les CFA ne doivent pas négliger plusieurs signaux qui peuvent s’avérer inquiétants :
- La très grande majorité des CFA ont davantage d’offres de contrats de la part des entreprises que de candidatures de la part des jeunes. Autrement dit les offres non pourvues sont supérieures aux demandes non satisfaites, signe que c’est du côté des jeunes que l’effort est à réaliser ;
- Les taux de rupture des contrats ont sensiblement progressé dans nombre de secteurs pour des motifs variés qui mériteraient une analyse systémique. Une observation empirique laisse penser que plusieurs phénomènes se conjuguent au-delà des causes habituelles de rupture (mauvaise intégration dans l’entreprise, découverte tardive de la réalité du métier, etc.) :
- en premier lieu le zapping des apprentis prêts à abandonner leur contrat pour toute proposition meilleure y compris dans le cadre d’un autre contrat d’apprentissage, la quantité et la qualité de l’offre ayant sensiblement augmenté ;
- en second lieu les entreprises en grande tension de recrutement qui basculent les jeunes en CDI avant la fin du contrat après avoir vérifié leurs aptitudes ;
- en troisième lieu les ruptures liées à un recrutement insuffisamment qualitatif qui peut être lié, déjà, à une pénurie de candidats mais également à la recherche d’un gain économique supplémentaire puisqu’il n’existe pas de limite quantitative au financement des contrats.
Or si le nombre d’apprentis, dans un CFA, vient à chuter ou si le taux de rupture s’envole (avec la réduction de financement liée), c’est l’équilibre économique du CFA qui peut être menacé.
C’est pourquoi les CFA ne devraient pas négliger, dès aujourd’hui, de mener trois actions en matière de sourcing, de recrutement et de fidélisation.
Attirer : rendre son offre visible et attractivité
Le sourcing, soit la capacité à susciter l’intérêt des futurs apprentis pour les cursus proposés dans le cadre d’une formation en alternance, est sans doute le poste budgétaire qui est appelé à croître le plus significativement dans les mois et années qui viennent pour les CFA. Beaucoup ont déjà recruté des communitys managers, eu recours à des prestataires pour sourcer les jeunes, développé des solutions partagées (plateformes de recrutement de type WALT • Association (« We Are Alternants ») fondée par 6 grands réseaux représentant 30 % de l’alternance en France. Leur souhait : changer la perception de l’alternance• Création … ), multiplié les participations à des salons ou l’organisation de JPO, etc.
Le sourcing pose de multiples questions : quels profils viser, où trouver les jeunes, par quels canaux les toucher, quels messages mettre en avant, comment différencier son offre, sur quel périmètre géographique travailler, comment passer de l’intérêt à la candidature, comment éviter de susciter des demandes non pertinentes qu’il faudra gérer, etc.
Si cette activité n’est pas nouvelle pour certains CFA, les écoles privées qui agissaient dans le champ de la formation initiale par exemple, elle est moins évidente pour certains CFA et notamment les « historiques » qui ont été habitués à travailler dans le cadre d’une offre régulée avec l’appui du service public d’orientation.
Recruter : utiliser les bons critères
Pour un CFA, le recrutement mêle plusieurs questions :
Celle des prérequis pédagogiques et de la capacité du jeune à suivre le cursus proposé ;
Celle de l’intérêt du candidat pour l’activité elle-même ;
Celle de la capacité du candidat à s’intégrer dans l’entreprise et l’adaptation de son profil à celui de l’organisation qui va l’accueillir.
Soit trois champs de critères différents d’autant plus difficiles à appréhender que chacun peut s’avérer relatif :
- Les prérequis sont insuffisants à garantir la capacité d’apprentissage et par ailleurs ils peuvent être compensés par des dispositifs de rattrapage, de soutien, de cours complémentaires et par un allongement de la durée du cursus, largement facilité par la nouvelle règlementation du contrat d’apprentissage ;
- L’intérêt du candidat pour l’activité peut se renforcer ou au contraire s’étioler selon les conditions de son apprentissage et la nature de l’expérience qu’il va vivre dans le CFA et dans l’entreprise ;
- L’intégration dans l’entreprise ne repose évidemment pas que sur les capacités du candidat mais plutôt sur l’adéquation entre ses attentes, objectifs et représentations et celles de l’entreprise qui va l’accueillir.
Tout recrutement est un pari avec sa part d’imprévu ou d’irrationalité. Il n’empêche que les CFA oscilleront de plus en plus entre la rigueur de la sélection à l’entrée pour garantir la qualité et l’efficacité des cursus et la contrainte économique du volume d’apprenti induite par la logique du coût contrat.
Fidéliser
Les CFA qui ont consenti d’énormes efforts pour le sourcing et le recrutement doivent sécuriser cet investissement par la fidélisation des apprentis. La proratisation de la prise en charge en cas de rupture du contrat crée en effet un risque fort, notamment en matière de contrats longs, lorsqu’il est difficile voire impossible de compléter des cursus en cours de formation.
Trois moyens permettent de prévenir, autant que faire se peut, les ruptures anticipées :
- La vérification de l’alignement des objectifs entre le CFA, l’apprenti et l’entreprise
Chacun utilise le dispositif d’apprentissage pour des objectifs qui lui sont propres. Faute d’un minimum d’alignement, ou de compatibilité, entre les objectifs de chacun, les conditions de l’incompréhension et de l’insatisfaction sont réunies. A minima, les objectifs de chacun devraient être exprimés voire formalisés. - L’expérience vécue par l’apprenti
Que ce soit en entreprise ou au CFA, la dimension qualitative du parcours de l’apprenti joue un rôle déterminant dans son désir de poursuivre son cursus ou d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. L’apprentissage est devenu un marché, il s’est largement « déscolarisé », les CFA ne peuvent plus faire mine d’ignorer que l’apprenti est un client. Pour l’entreprise, en des temps de grande démission, est-il nécessaire de rappeler combien il sera indispensable, comme pour les autres salariés, d’être attentif aux attentes de l’apprenti, ne pas considérer que c’est seulement à lui de s’adapter à son environnement (en même temps qu’il se forme et qu’il découvre des univers inconnus…) mais également à le considérer en tant que personne sans le réduire à son statut d’apprenti. - Le suivi régulier de l’apprenti…
Les relations sont évolutives faut-il le rappeler, et les apprentis appartiennent aux tranches d’âge qui procèdent le plus à des réorientations. Quoi de plus normal après tout que de chercher sa voie lorsque l’on aborde la vie active. Si l’on veut prévenir les ruptures, il est primordial de mesurer régulièrement auprès de l’apprenti son niveau de motivation en vérifiant s’il prend plaisir à ses activités, s’il se sent utile, bien intégré dans l’entreprise, s’il gagne en autonomie ou encore s’il a le sentiment de progresser. Cette vérification s’effectuera préférentiellement en lien avec l’entreprise.
Conclusion
On mesure les efforts et démarches à mettre en place par les CFA pour avoir des effectifs suffisants au développement de leur activité.
Dans un environnement où l’offre est plus abondante et donc les possibilités de choix pour les jeunes plus grandes, où les entreprises enrichissent leurs offres pour améliorer leur attractivité, on mesure combien les enjeux liés au sourcing, au recrutement et à la fidélisation seront très vite cruciaux pour le développement des CFA. Gare à ceux qui n’investiraient ces questions que tardivement.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40