Apprentissage : les trois angles morts du rapport de la Cour des comptes (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°256310 - Publié le 24/06/2022 à 13:24
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La Cour des comptes • Juridiction financière de l’ordre administratif • Création : 1807 • Mission : vérifier l’emploi des fonds publics et sanctionner les manquements à leur bon usage• Organisation et… livre un rapport sur l’apprentissage qui témoigne de la difficulté à analyser un dispositif dont la loi du 05/09/2018 a modifié la nature, et non simplement les modalités, avec un regard neuf.

Le rapport porte les marques d’une analyse ancrée dans le système ancien vers lequel nous ramènent les propositions formulées.

Et ledit rapport ne traite pas trois points clés qui pourtant sont essentiels pour l’avenir, à savoir que l’apprentissage :
• Est un marché ;
• Est un dispositif sélectif ;
• Est en compétition avec tous les autres dispositifs destinés aux moins de trente ans.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


L’apprentissage est un marché

Le rapport de la Cour des comptes se contente du constat de la libéralisation de l’apprentissage par la loi du 05/09/2018. Mais il ne propose aucune analyse du passage d’une activité de service public à une activité de marché.

Marché et concurrence

Il ne s’interroge pas sur l’impact de ce changement de régime sur l’ensemble de l’écosystème.

Ainsi :

  • Il n’identifie pas que la suppression d’un contrôle pédagogique portée par l’éducation nationale tient à la nature d’activité de marché, en lieu et place d’un service public, et que c’est donc exclusivement en tant que certificateur que l’éducation nationale effectue un contrôle pédagogique, comme tout certificateur peut le réaliser ;

  • Il ne pointe pas que la question de l’orientation professionnelle ne peut s’effectuer de manière identique au sein d’un service public et d’une activité de marché ;

  • Il ne prend pas en compte dans la capacité d’intervention financière des Régions que celles-ci doivent veiller à ne pas fausser la concurrence et que c’est cette même logique, et non pas une logique de réduction de coûts, qui justifie le paiement minoré de structures bénéficiant déjà de financements publics ;

  • Il ne fait aucune référence au respect des règles de concurrence lorsqu’il propose une régulation par les régions et les branches de l’offre d’apprentissage ;

  • Il ne fait à aucun moment le constat qu’avant la réforme 95 % des diplômes préparés étaient délivrés par l’éducation nationale, et qu’après la réforme ces mêmes diplômes ne représentent plus que 69 % des cursus, 31 % étant des titres inscrits au RNCP hors éducation nationale (enseignement supérieur inclus), témoignant d’une « déscolarisation » de l’apprentissage qui a échappé aux rapporteurs ;

  • Enfin constatons que les questions fiscales, et notamment la TVA, ne sont pas vraiment traitées alors qu’elles font partie des interrogations majeures pour les CFA. 

La lecture du rapport, de manière étonnante mais révélatrice, donne le sentiment d’une analyse du cadre actuel en référence exclusive aux principes et modalités de fonctionnement du cadre précédent. On aurait souhaité que la Cour prenne la mesure des changements intervenus et se prononce sur la manière dont il convient d’en tirer toutes les conséquences.

L’apprentissage est un dispositif éducatif sélectif, visant l’insertion

Chacun des acteurs de l’apprentissage a son idée sur les finalités de l’apprentissage.

L’insertion n’est pas le seul objectif

Les rapporteurs de la Cour des comptes n’échappent pas au phénomène et nous indiquent que l’apprentissage peine à jouer son rôle de favoriser l’insertion professionnelle des jeunes les plus éloignés de l’emploi.

Or, les objectifs de l’apprentissage ne relèvent pas de la conception que chacun s’en fait. Ils sont inscrits dans la loi. L’article L. 6211-1  du Code du Travail nous indique que l’apprentissage concourt aux objectifs éducatifs de la nation et qu’il contribue à l’insertion professionnelle. Aucune hiérarchie n’est fixée entre ces deux objectifs complémentaires, aucune priorité n’est donnée à l’un ou à l’autre. Difficile donc, au vu des textes, de considérer que l’apprentissage doit prioritairement être développé au niveau bac ou infrabac. Ou encore qu’il serait le dispositif ayant vocation à être orienté vers les jeunes les plus en difficulté. Ou qu’il ne devrait être que modérément encouragé dans le supérieur.

Le système le plus sélectif qui soit

Il faut le répéter, et de nombreuses études en ont fait le constat, l’apprentissage est un dispositif sélectif, le jeune faisant l’objet d’un double recrutement, par l’entreprise et par le CFA, devant se soumettre à deux prérequis, ceux de l’emploi et ceux du titre ou diplôme préparé, et devant ensuite assumer la charge du travail et de la formation.

Ces caractéristiques intrinsèques n’en font pas le dispositif le plus adapté pour permettre aux jeunes très éloignés de l’emploi d’y accéder en passant par le système le plus sélectif qui soit.

Autrement dit, en demandant à l’apprentissage de démontrer sa performance en matière de formation et d’insertion de jeunes ayant à la fois des difficultés scolaires et sociales, on exige de lui qu’il tienne une promesse qu’il n’a jamais faite et qui n’est pas adaptée à ses spécificités. Il serait mieux venu d’acter et de reconnaître le caractère sélectif de l’apprentissage et de travailler sur les passerelles (à l’instar du pré-apprentissage ou d’autres dispositifs notamment régionaux) qui permettent à ces jeunes de pouvoir éventuellement se remettre en situation de pouvoir accéder à l’apprentissage.

L’apprentissage est en concurrence avec tous les autres dispositifs destinés aux jeunes

L’enjeu prioritaire du sourcing des jeunes

  • La Cour des comptes aurait pu faire le constat, facile à réaliser, que les CFA disposent aujourd’hui de davantage d’offres d’apprentissage de la part des entreprises que de candidatures d’apprentis.

  • Elle aurait pu constater que l’augmentation des ruptures de contrat d’apprentissage est très souvent le fait des jeunes, attirés vers d’autres opportunités (parfois même par un autre contrat d’apprentissage dans une autre entreprise ou dans un autre CFA).

  • Elle aurait pu également s’interroger sur la baisse démographique à venir et les difficultés de recrutement de jeunes par les entreprises et partant par les CFA. Elle aurait pu identifier que la principale question pour les années à venir pour les CFA sera celle du sourcing des jeunes et de l’attractivité des offres proposées, davantage qu’une inadéquation de la carte d’apprentissage qui reste à démontrer.

Un vivier de jeune qui risque de se tarir

Comment développer un dispositif avec un vivier de jeunes qui va se tarir et une pénurie de candidatures dans bon nombre de CFA ?
Il ne s’agit pas simplement d’une question d’orientation professionnelle mais d’une part de tirer les conséquences, du côté de l’État mais aussi des Régions, de la manière dont les jeunes se répartissent entre l’apprentissage et les autres filières de formation (notamment dans les lycées et l’enseignement supérieur) et de constater que pour beaucoup d’entreprises la croissance de l’apprentissage est due à une pénurie de main-d’œuvre et pas à un effet d’aubaine lié aux aides, l’impact de ces aides ne faisant par ailleurs l’objet d’aucune étude sérieuse mais plutôt d’a priori.

Cela aurait permis de poser frontalement la question des arbitrages financiers à réaliser entre le financement de la formation initiale sous statut scolaire ou étudiant et les moyens à consacrer à l’apprentissage et sur la manière dont l’apprentissage peut répondre à des demandes d’entreprises aujourd’hui non satisfaites (et non à des projections sur leurs besoins futurs supposés).

Des propositions qui oscillent entre l’évidence et les recettes du passé

Le rapport de la Cour des comptes présente à nos yeux le défaut essentiel d’avoir conduit une analyse de la situation post-réforme en référence quasi-exclusive au système antérieur, sans avoir cherché à définir la nature du nouveau système créé et tenter d’en tirer toutes les conséquences. Par ailleurs, certains a priori traditionnels (l’apprentissage destiné aux plus éloignés de l’emploi, non prioritaires dans le supérieur, la régulation par l’offre et non par la demande…) ont été repris sans qu’ils aient été questionnés.

De ce fait, les propositions oscillent entre l’évidence (il va falloir faire un choix stratégique sur le financement) et les recettes tirées du passé (la régulation par l’offre et le contrôle public).

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40

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