Pourquoi le coût complet est inéluctable et serait un progrès ? (Jean-Pierre Willems)
Le financement des investissements est un des angles morts de la loi du 05/09/2018, à moins qu’il ne faille voir une volonté dans la réduction des moyens disponibles pour les investissements, de promouvoir une nouvelle forme de CFA. Pour autant, il sera bien difficile de maintenir la distinction que rien ne justifie plus, entre le financement du fonctionnement et celui des investissements.
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Le financement des investissements, angle mort de la réforme
Les possibilités de financement des investissements des CFA se sont considérablement réduites avec la loi du 05/09/2018, tous les financements disponibles étant orientés à la baisse comment on peut le constater si l’on compare les possibilités de financement avant et après la réforme.
Deux sources financières étaient principalement mobilisées pour cet investissement :
Les financements des conseils régionaux et les financements des Opco.
Les Conseils régionaux
Régulateurs de l’apprentissage ils pouvaient intervenir auprès des CFA tant pour leur fonctionnement que pour leurs investissements. L’apprentissage étant, avant 2019, une activité de formation initiale inscrite dans le service public d’éducation, et non un marché, ils n’étaient pas tenus de passer par des procédures de marchés publics et pouvaient verser des subventions aux CFA de leur choix.
Depuis la réforme, les Conseils régionaux ont une enveloppe de 180 millions d’euros pour les investissements des CFA, un décret du 28/12/2021 (décret n° 2021-1850 ) les autorise à utiliser en complément de cette enveloppe, jusqu’à 80 % de l’enveloppe reçue ( soit 135 millions d’euros) au titre du fonctionnement.
Mais pour intervenir auprès des CFA, les Régions doivent recourir aux procédures de marchés publics. Par ailleurs, n’ayant plus la capacité de définir la carte régionale d’apprentissage, ils maîtrisent moins bien la pertinence et les impacts de ces investissements. Les investissements s’en trouvent, à ce jour, orientés à la baisse.
Les Opco
Avant la réforme, un accord de branche pouvait prévoir le financement de l’investissement des CFA dans le cadre des ressources consacrées par les Opca à l’alternance.
Rappelons que les Opca disposaient de ressources propres (la collecte auprès des adhérents), ce qui n’est plus le cas des Opco (ressources reçues de France compétences). Ces accords de branche sont caducs et les Opco n’ont plus les mêmes possibilités financières pour prendre en charge les investissements puisque d’une part l’enveloppe qu’ils peuvent y consacrer est plafonnée et d’autre part ces dépenses ne sont pas éligibles à la péréquation.
À notre connaissance, seuls trois Opco sur onze continuent à financer les investissements des CFA.
Un choix peut-être volontaire ?
La réduction des sources de financement des investissements des CFA n’est pas qu’une conséquence de l’affectation principale des moyens au coût contrat. Elle peut également traduire une volonté et un constat.
Le constat c’est qu’une croissance significative du nombre d’apprentis peut difficilement s’accompagner de la multiplication des plateaux techniques et de leur maintien à la pointe des techniques et technologies les plus récentes.
D’où la volonté de promouvoir un autre modèle de CFA que celui du traditionnel Lycée professionnel avec des murs, des salles et des ateliers.
La règlementation de l’apprentissage le permet :
- confier une partie de la formation à l’entreprise,
- utiliser la formation en situation de travail,
- recourir aux outils d’apprentissage virtuels,
- développer les partenariats et se regrouper autour de plateaux techniques existants,…
Autant de solutions qui peuvent permettre de développer des cursus sans nécessairement générer un besoin d’investissement disproportionné.
Comment financer les investissements d’aujourd’hui ?
Pour financer les investissements, nous avons vu qu’il était toujours possible de solliciter les Conseils régionaux et les Opco.
Il est également possible de faire appel aux entreprises dans le cadre du solde de la taxe d’apprentissage (13 % de la taxe) : celui-ci peut être versé sous forme de dotation en équipements ou matériels. S’il n’est pas possible de financer par ce moyen de l’immobilier, tout au moins est-il possible de s’équiper en matériel professionnel.
Les CFA d’entreprises disposent d’une possibilité supplémentaire puisqu’ils peuvent utiliser 10 % de la part principale de la taxe d’apprentissage (87 % de la taxe) au financement de leurs investissements.
Reste une possibilité supplémentaire qui est l’auto-financement des investissements. L’apprentissage est une activité économique qui peut générer du résultat.
Selon les structures juridiques, ce résultat trouvera différentes affectations :
- affectation à un fonds de réserve (associations, structures publiques),
- rétribution des financeurs (sociétés), etc.
Dans tous les cas et quelles que soient les structures, le résultat peut être utilisé pour financer le développement du CFA, soit dans le cadre de son fonctionnement, soit en utilisant les ressources pour financer des investissements.
Ce qui rend la règlementation actuelle obsolète et problématique au regard de l’analyse des niveaux de prise en charge.
Pourquoi le coût complet est-il inéluctable et serait un progrès ?
Fixer un niveau de prise en charge des contrats d’apprentissage (NPEC) qui ne prend pas en compte les investissements c’est nier la réalité des coûts de formation. D’autant plus que, comme nous venons de le voir, le CFA peut librement affecter ses résultats, y compris lorsqu’ils sont issus des coûts contrats, aux investissements.
La non-prise en compte des investissements dans le cadre des NPEC est donc un anachronisme qui fausse la lecture des coûts des CFA et n’a aucun effet pratique puisqu’il est possible, avec un décalage d’un an, d’utiliser ces ressources pour une destination qui leur est interdite à leur réception !
Si l’on veut sortir de l’hypocrisie et du maintien d’un régime qui séparait fonctionnement et investissement dans le cadre d’une régulation assurée dans les deux cas par les régions, il est urgent de travailler sur les NPEC dans le cadre d’une approche globale du coût des cursus d’apprentissage, incluant les financements.
Ce qui est également le seul moyen de donner de la visibilité aux CFA sur leurs réelles capacités d’investissement (avec en toute logique une révision des NPEC qui devrait être au moins triennale et non biennale comme c’est le cas actuellement).
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 04/12/2024 à 07:40