Utiliser les fonds conventionnels de branche pour l’apprentissage (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°401494 - Publié le
©  Seb Lascoux
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A priori, financer l’apprentissage avec des contributions conventionnelles, c’est interdit par la loi. Sauf si l’on finance des actions qui ne relèvent pas de l’apprentissage, tout en ayant un impact sur l’apprentissage. Byzantin ? Non, simple et on vous explique pourquoi.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


L’interdiction de financer l’apprentissage

L’article L. 6332-1-2 précise que les contributions conventionnelles et volontaires versées par les entreprises aux Opco sont affectées au développement de la formation professionnelle continue. L’apprentissage n’est donc pas visé par le texte ce qui a conduit le ministère du Travail à refuser l’extension d’accords qui prévoyaient un financement de l’apprentissage par des contributions mises en place par la branche.

Cette opposition du ministère du Travail n’est pas pour autant un refus de principe mais une simple application du texte. Sur le fond, le ministère n’est pas opposé à une telle participation. C’est ainsi qu’une disposition supprimant le terme « continue », ce qui rendrait toute la formation professionnelle finançable, y compris l’apprentissage, a été votée par le Parlement dans le cadre de la loi de finances pour 2021.

Las, dans une décision du 28/12/2020 le Conseil constitutionnel • Institution française créée par la Constitution de la Cinquième République du 04/10/1958.• Mission : Il se prononce sur la conformité à la Constitution des lois et de certains règlements dont il… censurait ce qu’il considérait comme un cavalier législatif. En effet, selon l’analyse des sages, les contributions conventionnelles ne sont pas des impositions de toute nature et n’ont aucun impact budgétaire : les dispositions les concernant ne peuvent donc trouver place dans une loi de finances.

Cette censure purement technique n’a donc pas entériné l’ouverture des contributions conventionnelles à l’apprentissage. Et depuis cette date, soit par défaut de volonté, soit par manque d’opportunité, la modification législative n’a pu être adoptée.

Il faudra passer par le champ de la formation professionnelle continue »

Mais quelle est la portée de cette impossibilité de financer l’apprentissage ? Elle interdit aux branches professionnelles d’intervenir directement sur le dispositif d’apprentissage lui-même : impossible de compléter les NPEC légaux, de financer des investissements de CFA, de financer les restes à charge (ou participations obligatoires) mises à la charge des entreprises, etc.

Est-ce que pour autant cela signifie qu’une branche ne peut intervenir d’aucune matière au soutien du développement de l’apprentissage si telle est sa volonté ? Non, mais il faudra passer par le champ de la formation professionnelle continue.

Le financement des apprentis

Les apprentis sont des salariés. Ils bénéficient des mêmes droits que les autres salariés, dans la mesure où ces droits ne sont pas incompatibles avec son statut de jeune en formation (Code du travail, art. L. 6222-23). À ce titre, dans le champ de la formation professionnelle, les apprentis bénéficient du compte personnel de formation et acquièrent des droits à la formation continue pendant leur contrat. Ils sont également éligibles aux financements de la formation professionnelle continue. Ainsi, lorsque l’employeur fait suivre une action de formation continue non prévue dans le cursus d’apprentissage à un apprenti, cette action relève de son plan de développement des compétences et peut, à ce titre, faire l’objet d’un financement par un Opco.

Des arguments ont parfois été invoqués, avant la réforme, pour écarter les apprentis de ces financements :

  • Au motif qu’ils seraient en formation initiale, mais cela n’est vrai que pour le cursus d’apprentissage ;
  • Au motif qu’ils ne cotiseraient pas pour la formation continue, ce qui n’a jamais été une condition pour bénéficier des financements du fait de la mutualisation.
Les apprentis ont un statut hybride »

Les apprentis ont un statut hybride : s’ils relèvent pour leur cursus d’apprentissage de la formation initiale et des règles spécifiques de financement de l’apprentissage, ils sont également des salariés bénéficiant de droits à la formation continue.

Les branches professionnelles, si elles ne peuvent financer l’apprentissage avec leurs contributions conventionnelles, peuvent donc financer des actions de formation continue pour les apprentis ou, plus largement, des actions visant à développer la formation continue des apprentis, puisque l’article L. 6332-1-2 ne vise pas que les actions de formation.

Si l’on veut illustrer les possibilités d’intervention, on peut citer par exemple, dans une perspective de lutte contre les ruptures des contrats d’apprentissage ou d’enrichissement du parcours d’apprentissage :

  • Des actions de formation continue permettant l’acquisition de compétences comportementales visant à favoriser l’intégration professionnelle.

Les cursus des diplômes préparés en apprentissage comportent rarement des compétences transversales liées à l’intégration dans l’entreprise : capacité à comprendre et utiliser les codes de l’entreprise, capacité à travailler seul ou collectivement, capacité à prendre en compte les règles relatives à l’hygiène et la sécurité, etc.

  • La préparation de certifications complémentaires

La certification CléA, la certification Voltaire, une certification en langue, une certification des compétences numériques, etc. autant d’éléments de motivation supplémentaires pour l’apprenti qui peuvent contribuer à le fidéliser et à renforcer l’intérêt du parcours.

  • L’apport de compétences de spécialité caractéristiques de la branche
Des apports complémentaires pourraient être effectués au profit des apprentis »

Il se peut qu’un diplôme ou un titre ait une dimension un peu générique et n’ait pas intégré des compétences spécifiques à une branche professionnelle ou des compétences émergentes que les référentiels n’ont pas encore intégrées. Des apports complémentaires pourraient être effectués au profit des apprentis.

Toutes ces interventions pourraient être mises en œuvre soit dans le cadre d’actions de formation classiques, soit par la mise à disposition de ressources puisque le développement de la formation continue inclut des actions autres que la seule formation.

À ce titre, des actions de promotion de parcours de formation continue spécifiques à la branche (la préparation de CQP dans le cadre de contrats de professionnalisation par exemple) pourraient être financées par le biais de contributions conventionnelles. Elles pourraient contribuer à la sécurisation des parcours des apprentis.

Ce ne sont ici que quelques exemples mais ils témoignent des marges de manœuvre dont disposent les branches dans le cadre réglementaire actuel. Dès lors que ne sont pas financés les NPEC, les restes à charge, les investissements ou ce qui relève des missions des CFA dans le cadre de l’apprentissage, toutes les actions ayant pour objet ou effet de promouvoir le développement des compétences peuvent être envisagées.

Le financement des maîtres d’apprentissage

Du fait de leur rôle auprès des apprentis, les fonctions et/ou la formation des maîtres d’apprentissage peuvent être financés au titre de l’apprentissage. Mais les maîtres d’apprentissage sont également des salariés. Qui peuvent être amenés à encadrer des alternants dans le cadre de contrats de professionnalisation ou de stages, ou qui peuvent être amenés à jouer le rôle de parrain ou tuteur pour de nouveaux entrants voire à être formateurs en interne.

Dépasser le strict cadre d’un dispositif pour rechercher des effets plus ambitieux »

Bref, ils ne peuvent être strictement enfermés dans leur fonction de maître d’apprentissage. Et en tant que salariés, ils peuvent se former à l’accueil, au tutorat, à l’accompagnement, à la transmission de compétences sous toutes ses formes. Là encore, les actions peuvent prendre la formation d’actions de formation ou d’actions d’information, de sensibilisation, de promotion, d’accompagnement ou pourquoi pas de coaching. Le développement des compétences de tuteur/formateur, au sens le plus large, contribue au développement des entreprises apprenantes et donc des compétences. Cela permet d’ailleurs de dépasser le strict cadre d’un dispositif pour rechercher des effets plus ambitieux.

La mutualisation non financière

Le réflexe le plus fréquent des financeurs, et c’est aussi vrai pour les branches, et d’avoir le réflexe du subventionnement : on décide quelles actions seront financées et à quelles conditions et on lance des appels d’offres ou appels à projets.

Il est possible d’utiliser les fonds conventionnels différemment. Non pas pour subventionner, mais pour recueillir, sélectionner et partager les bonnes pratiques en matière d’alternance. Avec un million d’apprentis et 4 300 CFA, plus 100 000 contrats de professionnalisation et quelques milliers d’organismes de formation assurant la formation, les bonnes pratiques ne manquent pas.

Il n’est pas interdit d’être imaginatif et créatif »

L’efficacité, surtout pour des branches qui disposent de peu de moyens, ce n’est pas forcément de financer et de refinancer des actions. C’est de permettre à chacun d’accéder aux ressources qui permettront de gagner en qualité. Cela peut aller de la mise à disposition d’outils pédagogiques à l’ingénierie de l’alternance en passant par les expérimentations de tous ordres. Ou par des actions qui permettront d’obtenir des effets de levier : aider des CFA à développer une offre pertinente de formation continue, favoriser l’innovation en formation continue dès lors qu’elle est utilisable dans le cadre de l’alternance largement entendue, faire travailler les OF/CFA en réseau, créer une bourse des partenariats pour l’alternance, etc. Il n’est pas interdit d’être imaginatif et créatif.

Agir sans attendre

Il n’est pas impossible que dans un projet de loi à venir soit insérée la possibilité censurée en 2020 de financer l’apprentissage via les contributions conventionnelles et volontaires. Mais cela ne changerait pas grand-chose. En effet, quelle branche a aujourd’hui les moyens de financer massivement les NPEC ou les reste à charge des entreprises ? La quasi-totalité des branches, si elles souhaitent développer l’apprentissage et l’alternance doivent davantage raisonner en termes d’effets de levier, d’innovations, de bonnes pratiques et de mutualisation non financière. Et cela, elles peuvent déjà le faire.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 20/06/2025 à 05:36

©  Seb Lascoux
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