Trois interrogations sur la politique de certification (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°400819 - Publié le
©  Seb Lascoux
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La politique de certification conduite par France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… depuis 2019 a largement contribué à améliorer la qualité des pratiques de certification. La définition d’une doctrine, la publication de guides techniques, la normalisation de l’écriture en compétences et des pratiques d’évaluation sont autant de progrès à porter au crédit de la Commission de la certification.

Pour autant, quelques positionnements interrogent d’autant qu’ils semblent renforcés par les projets de décrets sur les conditions d’enregistrement des certifications professionnelles qui devraient être publiées dans le courant du mois de juin.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


La normalisation de l’écriture en compétences, frein à la mobilité ?

La compétence est une capacité à agir en bon professionnel dans un contexte donné. Si les formulations peuvent varier, la définition même de la compétence finit par faire consensus et ses composantes sont bien identifiées : la mobilisation de ressources diversifiées (propres à la personne ou externes), la mise en œuvre de bonnes pratiques (des modalités normées ou non mais de référence qui font le bon professionnel), la réalisation de l’action en vue d’un objectif identifié (finalité poursuivie). Le tout dans un contexte donné, la compétence étant spécifique à une activité ou un environnement professionnel.

La commission de la certification de France compétences a déduit de ces principes une écriture normalisée de la compétence : un verbe d’action, des modalités de réalisation, une finalité. On ne discutera pas ici la proximité que cette normalisation crée entre la description de l’activité et celle de la compétence proprement dite, c’est-à-dire la capacité à réaliser l’activité.

Ce qui est plus fondamentalement en jeu, c’est l’exigence de contextualisation »

Ce qui est plus fondamentalement en jeu, c’est l’exigence de contextualisation. Légitime dans son principe, elle a pour effet de renforcer les spécificités « métiers » des compétences figurant dans les référentiels. Ces compétences seront toujours plus « spécifiées », ce qui d’ailleurs satisfera plutôt les certificateurs soucieux de faire constater leur connaissance fine du métier, les experts métiers qui y retrouveront ce qui les distingue

L’exigence d’ultra-contextualisation de la compétence conduit à augmenter les spécificités métiers d’un référentiel. Ce qui conforte d’ailleurs le travail des experts qui réalisent les référentiels et sont souvent satisfaits de renforcer cette dimension « métier ».

Ce faisant, les compétences ne deviennent lisibles que pour le métier en question et il est très difficile de les projeter dans d’autres métiers. Si le RNCP gagne en qualité par rapport aux métiers visés, il est de moins en moins capable d’être un outil favorisant la mobilité professionnelle via la mise en évidence de la transversalité des compétences.

Si j’ai une compétence spécifique de serveur en restauration qui est centrée sur le fait d’accompagner le client à sa table et de lui présenter les menus, en quoi cette compétence est-elle utilisable pour d’autres métiers de l’accueil, de la vente ou plus généralement de la relation client ?

Les dossiers de certification nous semblent pécher par deux manques :

  • La non prise en compte de la transversalité des compétences ;

Le certificateur pourrait, après avoir précisé la spécificité des compétences par rapport au métier visé, indiquer à quelles compétences plus génériques elles se rapportent et comment elles peuvent être déclinées dans d’autres activités.

  • La non prise en compte des métiers situés dans le « halo » du métier préparé ;

Au-delà du ou des métiers directement visés par la certification, quels sont les métiers, relevant d’autres secteurs professionnels, qui sont accessibles avec un minimum d’adaptation.

De telles mentions permettraient par ailleurs de mieux apprécier l’insertion professionnelle en ne se limitant pas à l’insertion dans le métier cible mais en pré-identifiant les aires de mobilité. Ce travail pourrait être effectué, notamment, avec l’aide du ROME 4.0 dont il partagerait la philosophie.

Cette dimension mobilité nous paraît d’autant plus importante que la mobilité professionnelle, en France, a toujours été supérieure à la mobilité géographique et qu’une part importante de salariés, change d’entreprise ou d’emploi dans son entreprise, chaque année.

L’impossible chantier des correspondances

L’orientation proposée ci-dessus nous paraît également répondre à l’impossibilité de conduire un véritable travail sur les correspondances entre les certifications.

Lancé en 2023, le chantier n’a pas été mis en œuvre, notamment car il pose de redoutables questions pratiques, juridiques et conceptuelles :

  • en pratique, comment identifier des équivalences entre certifications préparant à des métiers différents dès lors que la contextualisation de la compétence est un prérequis pour la qualité de la certification ? La comparabilité se réduit donc aux certifications préparant aux mêmes métiers ;
  • sur le plan juridique, la certification est la propriété du certificateur. Comment imposer un partage de cette propriété par la voie des correspondances avec un autre certificateur qui a peut-être, sur le papier, une certification qui a rempli les exigences minimales de qualité du RNCP mais qui par ailleurs ne présente pas nécessairement ni la même qualité de parcours pour parvenir à la certification, ni les mêmes résultats, ni la même notoriété ? Suffit-il d’avoir un titre RNCP de gestion financière de niveau 7 pour considérer, parce que les métiers préparés sont les mêmes, que la certification correspond à celle d’un Master de Paris Dauphine sur le même sujet alors que l’on peut constater que l’impact des titres sur l’accès à l’emploi ou sur la rémunération n’est pas le même ?
  • sur le plan conceptuel, le vade-mecum de France compétences comporte cette mention : « La correspondance est définie comme un rapport de conformité ou de ressemblance entre deux objets distincts. Elle se distingue de la notion d’équivalence qui décret la relation entre deux objets de même valeur. In fine, les deux notions sont complémentaires et surtout articulables entre elles : c’est parce que deux blocs sont correspondants dans leur contenu et appartiennent au même cadre qualité, celui du RNCP, qu’ils peuvent être considérés comme de même valeur et donc équivalents ».

Rien dans ces affirmations ne nous paraît juste :

La valeur de la certification dépend bien évidemment de paramètres autres que le seul contenu du référentiel »

Tout d’abord cela revient à réduire la certification et sa valeur à la description formelle des compétences décrites dans un bloc. Comme si le mot et la chose se confondaient sans que l’on ait à se poser plus de questions. Or la valeur de la certification dépend bien évidemment de paramètres autres que le seul contenu du référentiel.

Le fait d’appartenir au même cadre qualité ne crée évidemment aucune égalité en termes de qualité : il témoigne simplement qu’un niveau minimal de qualité a été atteint. Personne n’envisage de dire que tous les organismes certifiés Qualiopi garantissent une qualité équivalente. Ils garantissent une qualité minimale, celle du référentiel, mais peuvent ensuite s’étalonner sur des échelles de qualité bien différentes.

Les systèmes de reconnaissance des certifications sont multiples et ne relèvent pas de la politique de France compétences qui ne peut, par ailleurs, les bousculer. Prenons un exemple : si une convention collective reconnaît une certification et lui attache des droits particuliers pour des raisons qui relèvent de l’autonomie de la négociation, il n’appartient pas à France compétences d’imposer une correspondance entre certifications qui permettrait, contre la décision des partenaires sociaux, à des candidats titulaires d’une autre certification jugée « équivalente » sur le papier, de bénéficier des effets de droits reconnus par la négociation collective.

France compétences reconnaît d’ailleurs elle-même, en attribuant des durées d’enregistrement différentes, que l’on peut être inscrit au RNCP sans atteindre un niveau équivalent de qualité au regard des seuls critères de l’enregistrement au RNCP.

C’est pourquoi il nous paraît souhaitable d’ouvrir le chantier de la transversalité possible des compétences métiers plutôt que celui des correspondances.

De la politique de certification à la politique de régulation des formations certifiantes

Sans doute poussée par son rôle de régulateur des financements de la formation professionnelle, France compétences a opéré, en six ans de pratiques, un revirement.

Les textes régissant les conditions d’inscription au RNCP ou au RS ne visent ni les référentiels de formation, qui ne sont pas obligatoires, ni les parcours de formation, qui ne sont pas normés.

Le principe même de la certification est de reconnaître un niveau de compétences par une évaluation rigoureuse, sans se poser nécessairement la question du parcours qui a permis d’acquérir ces compétences.

Initialement, France compétences ne s’intéressait donc qu’à la certification stricto sensu et pas au parcours de formation. Certains organismes présentant ce parcours ont d’ailleurs pu s’entendre dire qu’ils confondaient formation et certification et qu’ils n’étaient donc pas mûrs pour être enregistrés.

Changement total de cap puisqu’aujourd’hui il est affirmé qu’un parcours doit être associé la certification, notamment pour le Répertoire Spécifique, et que ce parcours doit être normé, explicité et entre dans le champ du contrôle de France compétences. À ce jour, c’est juridiquement faux. Mais peut-être pas pour longtemps puisqu’un projet de décret prévoit que lorsqu’un certificateur habilite un organisme à former pour préparer à sa certification, il devra s’assurer de la qualité et de la conformité du parcours de formation mis en place.

On comprend bien la finalité de ces dispositions et de cette évolution : il s’agit d’une prise en compte de certaines dérives qui ont vu des organismes proposer tout, et parfois n’importe quoi, comme parcours de formation pour préparer à une certification et bénéficier ainsi des financements réservés aux formations certifiantes.

Il serait dommage de mêler, une fois de plus, nécessaire lutte contre la fraude et pilotage d’une politique de certification »

Mais on constate la conséquence : ce n’est plus une politique de certification, aux modalités d’accès ouvertes, qui est portée, mais une politique de régulation du financement des formations certifiantes. Ce qui est assez largement différent. L’une et l’autre s’opposent-elles ?

Oui, si cela aboutit à refaire un lien systématique entre formation et certification et ainsi rigidifier l’accès à la certification.

Non, s’il s’agit simplement de vérifier que la certification ne sert pas d’alibi à des formations qui n’y préparent guère. Mais il serait dommage de mêler, une fois de plus, nécessaire lutte contre la fraude et pilotage d’une politique de certification. Les enjeux sont importants dans les deux cas mais ils ne sont absolument pas de même nature.

En conclusion, il nous semble que ces trois questions, celle de la transversalité des compétences métiers, celle des correspondances et celles de la politique de certification versus la politique de régulation des formations certifiantes, mériteraient un débat et un positionnement de la Commission de France compétences sur des questions lourdes d’enjeux pour les principaux concernés : les utilisateurs (et non les propriétaires) des certifications professionnelles.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 20/06/2025 à 05:36

©  Seb Lascoux
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