Baisse des NPEC : faute de politique, restent les comptabilités… (Jean-Pierre Willems)
Devant les réactions négatives qui se multiplient sur la baisse des NPEC au 01/09/2023, on peut toujours se dire qu’une baisse des financements est rarement saluée par des acclamations et que tout ceci est dans l’ordre des choses.
Un tel constat céderait à la facilité. En effet, c’est sans doute moins la baisse, annoncée de longue date, qui suscite des interrogations, que le choix des certifications concernées qui traduit une logique quasi-exclusivement financière pour ne pas dire fiscale, là où seraient attendu des choix éducatifs articulés aux besoins de compétences.
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Une logique fiscale qui ne dit pas son nom
8 à 10 % de baisse : 31 % des certifications mais 53 % des apprentis concernés
Lorsque l’on regarde les certifications qui ont subi les baisses les plus importantes (8 à 10 %), on s’aperçoit qu’il s’agit de moins d’un tiers des certifications (31 %), mais qu’elles concentrent plus de la majorité des effectifs d’apprentis (53 %). Manifestement, un des critères utilisés pour déterminer la baisse des certifications est lié aux volumes d’apprentis la préparant. Ce faisant, on retrouve le principe bien connu des fiscalistes : un impôt efficace doit avoir un taux faible et une base large.
Pour contenir la baisse à 10 % au maximum tout en dégageant une économie de 540 millions d’euros, on a donc fait le choix de viser en premier lieu les certifications aux forts effectifs (base large) et de leur appliquer une baisse plafonnée (10 % maximum) ce qui devrait éviter les réajustements opérés en 2022 pour les certifications ayant subi des baisses de 25 voire 30 %. Ce faisant, on en déduira que certaines certifications, peut être positionnées à un niveau élevé mais à faibles effectifs auront échappé de ce fait à la baisse ou auront subi une baisse très limitée.
Les formations de niveau 5 et 4 les plus pénalisées
C’est ce critère des effectifs qui explique que les formations de niveau 5 et 4 ont été les plus fortement pénalisées : pas seulement parce que les apprentis sont plus nombreux dans ces cursus, mais parce que la diversification des diplômes est bien plus faible que dans le supérieur : là où pour un même métier on va trouver pléthore de titres (22 par exemple pour le métier des ressources humaines au seul niveau 6), on aura le seul CAP de Boulanger pour l’accès au métier au niveau 3. Comme en plus le CAP Boulanger concerne plusieurs dizaines de milliers d’apprentis, on comprendra qu’une baisse sur cette certification rapportera davantage que sur d’autres.
On pourrait toutefois argumenter que lorsqu’un diplôme fait recette, des économies d’échelle sont à l’œuvre et que donc la réduction du financement s’amortit par le volume. Ce raisonnement pourrait se comprendre sauf :
- Qu’une fois encore, en partant des comptabilités, on regarde le passé pour financer l’avenir : la baisse de la démographie, l’augmentation de l’offre, les opportunités offertes par les entreprises qui ont du mal à recruter, les efforts à engager pour aller chercher des jeunes éloignés de l’emploi, et bien d’autres facteurs rendent le sourcing et le recrutement de jeunes de plus en plus complexe…et coûteux. Et ce n’est pas dans les comptes passés que l’on voit ces évolutions qui vont s’accentuer ;
- Que le volume global ne signifie pas que certains CFA ne travaillent pas en petits effectifs sur certains territoires. Tant pis pour eux ?
- Que les modèles économiques des CFA sont tellement différents, notamment selon qu’ils ont l’apprentissage comme activité exclusive ou qu’ils sont adossés à d’autres activités, qu’ils privent de signification les coûts moyens, pondérés puis remoyennés qui servent de base aux niveaux de prise en charge. Et donc rendent bien difficile l’appréciation de l’impact de la baisse pour tous les CFA concernés ;
- Que le mode de calcul repose sur la fiction que le coût pourrait se calculer toutes choses égales par ailleurs sans tenir compte des éléments sur lesquels il est possible de gagner en productivité et ceux qui n’ont que très peu d’élasticité.
Mais surtout, cette approche exclusivement comptable demeure surprenante dans un domaine qui est à la fois une voie éducative et une voie d’insertion professionnelle et touche donc au cœur de la promesse sociale mise en œuvre par l’État.
Un pilotage par les chiffres qui fait fit des finalités de l’apprentissage
Que l’État décide de moins soutenir des filières de formation qui correspondent à des métiers en voie de disparition ou pour lesquels les taux d’insertion sont très médiocres, on pourrait le comprendre de la même manière qu’une fermeture d’une classe qui ne procure plus de débouchés aux étudiants.
Que l’État décide, à l’inverse, de financer davantage des cursus qui peinent à recruter alors que la demande des entreprises est forte, ou qui ont des besoins importants d’investissement, ou encore pour lesquels la croissance des volumes va d’abord se traduire par des coûts supplémentaires (locaux, matériels, formateurs, gestion…) avant de représenter éventuellement une opportunité, cela ne choquerait personne.
Rôle des branches ramené à peau de chagrin
Mais on chercherait en vain parmi les critères qui servent à déterminer si un cursus doit être plus ou moins financé, qui ressort d’un choix politique : d’autant qu’en ce domaine, le rôle des branches est ramené à une maigre peau de chagrin.
Le fait de rendre public mi juillet 2023, des dizaines de prix de référence, avec des baisses qui conduisent à faire quasiment des prix plafonds des tarifs planchers, ne laisse guère le temps ni d’une véritable politique de branche, ni celui d’un dialogue entre les branches professionnelles et France compétences • Établissement public administratif créé par la loi du 05/09/2018, placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle. Mise en route le 01/01/2019 • Gouvernance quadripartite… .
Dès lors, il faut se résoudre à expliquer les variations de tarifs, par des moyennes de coût, des pondérations, des réductions capées, et autres calculs financiers plus ou moins hermétiques. Est-ce donc cela la politique d’apprentissage de la France ? Est-ce bien à partir de la comptabilité de CFA aussi nombreux que divers que l’on va trouver la vérité de cette politique ?
Incapacité à s’inscrire dans la logique à l’origine de la réforme de 2018
Il faut bien faire le constat que l’impasse financière que l’on tente de régler tient en fait à une incapacité à s’inscrire dans la logique qui est à l’origine de la réforme de 2018 :
- La nécessité d’augmenter l’investissement éducatif, qui est sans aucun doute l’un des meilleurs emplois possibles de la ressource publique ;
- Le fait de transférer sur l’apprentissage des ressources initialement affectées à d’autres usages : c’est ce qui a été fait avec l’argent de la formation continue massivement réorienté vers l’apprentissage, et c’est ce qu’il reste à faire avec le budget de l’éducation dès lors que les apprentis intègrent des structures qui en relèvent ;
- Le fait d’avoir, dans un premier temps, une politique quantitative pour modifier la culture avec lequel on appréhende l’apprentissage, cet objectif est aujourd’hui atteint, avant d’affiner la politique et de l’orienter vers les besoins éducatifs de la nation qui sont à la fois ceux des jeunes et des entreprises.
Au lieu de s’inscrire dans ce triptyque, la régulation financière revient aux modes anciens de financement de la formation et de l’apprentissage : partir d’un budget pour déterminer ce que l’on fait, plutôt que de mesurer l’efficacité de l’investissement réalisé. Cela ressemble fort à un retour en arrière.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 13/12/2024 à 09:59