Peut-on réguler la formation à distance sans la définir ? (Jean-Pierre Willlems)
Si l’on en croit les derniers textes parus en matière d’apprentissage, la réponse est oui et l’on comprend sans peine que cette réponse positive est problématique. Les CFA devront déclarer s’ils réalisent des formations à distance, devront apprécier si la part de formation à distance dans un cursus est supérieure ou inférieure à 80 %, verront les financements varier selon la réponse qu’ils apportent, mais ils doivent se décider sans qu’aucun critère de ce qu’est une formation à distance n’existe réglementairement, comme si une telle précision était superflue alors qu’elle est déterminante. Et que, compte tenu des conséquences, elle ne peut pas résulter d’une simple position administrative.
Une analyse de Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.
Des textes qui ne définissent pas la formation à distance
Le Code du travail distingue quatre types d’actions :
- les actions de formation continue,
- les bilans de compétence,
- la VAE,
- la formation par apprentissage.
Article L6313-1 du Code du travail
Les actions concourant au développement des compétences qui entrent dans le champ d’application des dispositions relatives à la formation professionnelle sont :
1° Les actions de formation ;
2° Les bilans de compétences ;
3° Les actions permettant de faire valider les acquis de l’expérience, dans les conditions prévues au livre IV de la présente partie ;
4° Les actions de formation par apprentissage, au sens de l’article L.6211-2 .
S’agissant des actions de formation continue, il est précisé qu’elles peuvent être réalisées en tout ou partie à distance. Un décret est venu définir les conditions minimales de mise en œuvre des formations à distance (art. D 6313-3-1 du Code du travail).
D 6313-3-1 du Code du travail
La mise en œuvre d’une action de formation en tout ou partie à distance comprend :
1° Une assistance technique et pédagogique appropriée pour accompagner le bénéficiaire dans le déroulement de son parcours ;
2° Une information du bénéficiaire sur les activités pédagogiques à effectuer à distance et leur durée moyenne ;
3° Des évaluations qui jalonnent ou concluent l’action de formation.
Un premier constat : les deux premières conditions renvoient à des activités exercées de manière autonome avec la mise à disposition d’une assistance technique et pédagogique. Ce qui exclut de la formation à distance les formations synchrones réalisées par un formateur pour une durée précisément identifiée, modalité qui ne correspond pas à celle prévue par le Code du travail.
Un deuxième constat : si l’on veut faire de ces modalités des critères de la formation à distance, ce qui n’est pas leur vocation, alors il faudrait considérer comme une formation à distance les travaux de groupe qui se réalisent en dehors de la présence d’un formateur, les travaux de recherche qui supposent des enquêtes ou des entretiens à l’extérieur du centre, le temps passé à préparer un exposé ou un travail individuel ou collectif, etc.
Et surtout un troisième constat : ce texte, qui n’a pas vocation à définir les formations à distance mais seulement à en préciser les modalités minimales, sans que toute action dans lesquelles ces modalités sont présentes n’en reçoive pour autant de manière automatique la qualification de formation à distance, ce texte n’est donc pas applicable en matière de formation par apprentissage.
En effet, les articles D 6313-1 et suivants ne concernent que l’action de formation continue visée au 1° de l’article L. 6313-1.
Pour l’apprentissage, c’est l’article L. 6211-2 qui prévoit que l’apprentissage est une forme d’éducation alternée associant une formation fondée sur l’exercice d’une ou plusieurs activités professionnelles et des enseignements dispensés dans un CFA « dont tout ou partie peut être réalisé à distance ». Et aucun texte complémentaire ne vient définir ce qu’est un enseignement dispensé à distance pas plus que les modalités à respecter pour que l’on soit dans ce cadre.
Une loi et un décret lacunaire pour traiter des formations à distance
C’est la loi de finances pour 2025 (loi 2025-127 du 14/02/2025) qui a posé le principe d’une minoration du financement des formations par apprentissage réalisées à distance. Elle le fait en complétant l’article L. 6332-14 qui prévoyait déjà la possibilité d’une modulation du niveau de prise en charge des contrats d’apprentissage lorsque le salarié est reconnu comme travailleur handicapé ou lorsqu’il existe d’autres sources de financement public. Est rajoutée la possibilité de modulation lorsque la réalisation des actions de formation fait appel à des modalités de formation à distance.
Remarque : on notera que la loi prévoit trois cas de modulations :
- la reconnaissance d’un handicap de l’apprenti,
- la réalisation de la formation à distance
- le fait que le CFA fasse l’objet de financements publics par ailleurs.
Si les décrets concernant le handicap et les formations à distance ont été pris quelques mois après le vote de la loi, aucun décret n’est intervenu pour moduler le financement des CFA qui reçoivent par ailleurs des financements publics, que ces financements portent sur les moyens immobiliers ou matériels dont dispose le CFA ou sur la contribution à l’activité du CFA de personnels non imputés sur les ressources propres du CFA. Preuve que la décision du Gouvernement de rendre la loi applicable est sélective et que s’agissant de réaliser des économies et d’une approche par la comptabilité, il serait bon d’avoir des données comparables entre les CFA publics et privés et de savoir exactement ce que financent les NPEC.
Le décret du 27/06/2025 relatif à la minoration du financement des actions de formation par apprentissage en partie réalisée à distance (curieux intitulé qui laisserait penser qu’il ne vise pas les actions totalement réalisées à distance) ne fixe aucun critère permettant de qualifier la formation à distance. Il n’en prévoit pas moins que les CFA devront indiquer le pourcentage des enseignements qui sont réalisés à distance et que si ce taux atteint 80 %, le financement sera minoré de 20 %.
Ainsi, ni le Code du travail, ni la loi de finances qui pose le principe de la minoration, ni le décret qui prévoit son application ne définissent ce qu’est la formation à distance alors que les conséquences attachées à cette définition conditionnent l’application même de la loi.
On sait que le travail principal du juriste est de définir et de qualifier. La qualification des faits et des situations est le premier travail qui permet de définir la règle de droit qui doit s’appliquer. Pour qualifier, il faut utiliser une définition et des critères. En l’absence de tels éléments, nous sommes face à l’arbitraire et à l’inintelligibilité de la loi.
Pourquoi une définition de la formation à distance est-elle nécessaire ?
On pourrait arguer que la formation à distance n’a point besoin d’être définie car sa définition relève de l’évidence. Outre qu’un tel argument serait juridiquement fallacieux pour les raisons indiquées ci-dessus, il est aisé de constater que plusieurs acceptions sont envisageables et qu’elles ont des conséquences bien différentes.
Si l’on retient que la formation à distance est celle qui n’est pas délivrée dans les locaux du CFA : alors il faudra considérer la FEST comme une formation à distance ainsi que la réalisation d’une enquête ou la visite pédagogique d’un chantier, quand bien même le formateur serait présent.
Si l’on retient que la formation à distance correspond à des activités réalisées sans se trouver en permanence sous le contrôle d’un formateur : alors les formations synchrones ne seront pas des formations à distance. Ce qui conduirait, lorsqu’un enseignant intervient dans un amphi à considérer qu’il fait de la formation présentielle pour ceux qui ont trouvé une place dans l’amphi, mais de la formation à distance pour ceux qui se trouvent dans une pièce adjacente faute de place ou dans une annexe dans la ville voisine alors qu’ils suivent le même cours.
Faut-il définir la formation à distance par la trilogie théâtrale : unité de temps, de lieu et d’action ? dans ce cas, impossible pour le formateur de laisser les apprentis travailler en autonomie ou de suivre deux groupes : la salle ou l’atelier seuls font la présence. On perçoit également l’incongruité économique d’une telle proposition : un enseignant devant un amphi de 150 apprenti bénéficierait d’un NPEC complet alors que le même enseignant réalisant une formation synchrone individuelle ou avec un petit groupe d’apprentis subirait une minoration au motif que sa structure de coût est naturellement plus profitable.
À l’évidence, et pour ne traiter que ce point, une définition non exclusivement punitive devrait exclure les formations synchrones de la définition de « formation à distance » et tirer les conséquences logiques de la présence à l’action du formateur et des apprentis. A minima.
En conclusion
Il est assez surprenant de constater qu’à aucun moment il n’a semblé utile de définir la notion essentielle de formation à distance. À moins que l’on ait reculé devant l’obstacle car la tâche n’est pas aisée. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un question/réponse ou à une position de l’administration de définir ce qui doit nécessairement relever de la réglementation compte tenu de l’importance qui sont attachées au périmètre et conditions d’application de la loi.
Sans doute est-il donc nécessaire, face à des textes lacunaires, de remettre l’ouvrage sur le métier. À défaut, les inévitables contentieux ne feraient que créer un désordre dont ni les politiques publiques, ni les entreprises, ni les CFA et encore moins les apprentis ont besoin.
Jean-Pierre Willems
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Consultant @ Willems Consultant
Parcours
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Consultant
Responsable du master RH
Partenaire
Établissement & diplôme
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)
Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 07/07/2025 à 09:25