Think 2025 : « L’apprentissage a fait bondir l’ouverture des universités à l’entreprise »(C. Grandjean)

News Tank RH - Paris - Actualité n°387461 - Publié le
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Carole Grandjean à Think 2025 - ©  D.R.

« La puissance publique a un rôle majeur à jouer et elle l’a fait au travers de l’apprentissage via lequel les universités ont fait bondir leur ouverture au monde de l’entreprise. On a vu le modèle des écoles évoluer très largement grâce à l’apprentissage. C’est un enjeu majeur », déclare Carole Grandjean DGRH @ Groupe Etam
, ministre déléguée à l’enseignement et la formation professionnels dans le Gouvernement d’Élisabeth Borne de juillet 2022 à janvier 2024.

Elle s’exprime lors du débat organisé en amont de la remise des prix News Tank/Emerging de la coopération établissements/entreprises, lors de l’événement Think Éducation & Recherche organisé par News Tank à Sorbonne Université le 06/02/2025.

« Si aujourd’hui chacun d’entre nous valorise l’apprentissage pour nous, pour nos enfants et pour toute la société, c’est aussi parce qu’on le fait sur tous types de diplômes, dans toutes les spécialités. C’est un chemin que l’on a mis des dizaines d’années à construire : il faut absolument le préserver », ajoute celle qui dirige les RH du groupe Etam depuis mars 2024.

« Nous avons une forte activité en formation continue et en alternance, notamment parce que nous y sommes incités par la baisse des dotations ministérielles », indique pour sa part Christophe Collet, directeur de l’UTT.

« L’université a un rôle de formation professionnelle, mais aussi de formation citoyenne. Les valeurs citoyennes qui sont véhiculées au sein de l’entreprise sont aussi fondamentales : les soft skills, le savoir-être… Ce sont des choses que nous travaillons de plus en plus », déclare Camille Galap, président de l’Université Paris-Saclay.


Amener la coopération entreprises/universités à un niveau plus stratégique

Sandrine Belloc - ©  D.R.
« Entre le moment où j’ai quitté ma fonction de RH et celui où je l’ai retrouvée, j’ai perçu une très forte évolution dans cette relation entre établissements d’enseignement supérieur et entreprises, et vice versa », déclare Carole Grandjean.

Selon Sandrine Belloc, cofondatrice et directrice générale du cabinet Emerging, des avancées sont encore attendues dans ce domaine : « Depuis 2019, nous observons que la moitié des entreprises que nous avons sondées sont en demande :

  • de collaborer mieux et plus longtemps,
  • de collaborer sur des modules différents, qui couvrent plus le continuum formation-recherche ».

« Dans nos enquêtes, les entreprises nous ont aussi dit qu’elles avaient des préconisations pour amener la coopération entreprises/universités au niveau plus stratégique dans les instances de gouvernance. »

À la question de savoir si les établissements lauréats des prix News Tank/Emerging sentent une pression un peu plus forte des entreprises pour davantage collaborer avec eux, Céline Cudelou, directrice des relations entreprises de l’École Polytechnique (IP Paris), répond : « Nous ne vivons pas les exigences des entreprises comme une pression, mais comme un atout pour progresser et rester alignés avec les besoins du terrain. Il faut toutefois rester vigilants et que les choix stratégiques et académiques restent ceux de l’école et de la direction de l’école. Mais il est précieux pour nous d’être à l’écoute des besoins de ces entreprises et de les intégrer dans un schéma de réflexion pour élaborer les objectifs académiques d’un programme. »


« Garder une indépendance importante »

Eloïc Peyrache - ©  D.R.
Un constat partagé par Éloïc Peyrache, DG de HEC Paris, pour qui, en matière de gouvernance, « il faut faire attention et garder une indépendance importante. Il ne faut pas venir pour les intérêts seulement d’une entreprise, mais avoir une vision assez large. Oui, il faut être à l’écoute et co-construire, mais aussi assumer un certain nombre de décisions ».

Camille Galap, président de l’Université Paris-Saclay, se dit « d’accord avec cette idée de co-construction : c’est dans cet esprit-là qu’il faut collaborer avec les entreprises. Dans le cadre de la stratégie de développement de l’université et de ses missions, sur tous les champs (formation, recherche, formation continue, innovation), il est important :

  • que l’on ait le point de vue des entreprises,
  • mais aussi que les entreprises intègrent des scientifiques, des universitaires, dans leurs boards ».

« Aujourd’hui, nos conseils de perfectionnement accueillent le monde de l’entreprise qui nous aide à former, à modeler la formation. Des entreprises sont présentes au conseil d’administration : Thales, Safran, EDF, etc. », indique Christophe Collet, directeur de l’UTT.


Former des scientifiques à intervenir dans les boards d’entreprises

Camille Galap - ©  D.R.
« À Paris-Saclay, nous avons un programme de formation des scientifiques pour qu’ils puissent intervenir dans les boards de certaines entreprises, car il est utile d’avoir davantage de scientifiques impliqués dans les gouvernances des grandes entreprises. Pour faire évoluer des formations, par rapport aux compétences souhaitées dans les entreprises, il est important que des entreprises ou des professionnels soient là pour nous dire “ce sont des compétences qui sont aujourd’hui nécessaires”. Sans forcément imposer une orientation spécifique, parce qu’il faut que l’on ait des étudiants en capacité de s’adapter aux mutations qu’ils connaîtront tout au long de leur carrière », déclare Camille Galap.

« Les entreprises ne sont pas philanthropiques, ce ne sont ni des ONG, ni des associations. Elles ont besoin économiquement de pouvoir travailler les talents de demain(…). Nous devons :

• prendre une part dans la formation de ces jeunes,

• préparer leurs compétences, les ajuster aux connaissances théoriques et de recherche,

• mais aussi au monde économique tel qu’il est et tel qu’il a besoin aussi de se préparer.

Nous devons aller vers l’éducation de jeunes qui leur permettent une insertion professionnelle. Nous avons aussi besoin de travailler la qualité à tous les niveaux. Et cette qualité doit se faire aussi par ce partenariat établissements/entreprises. »

Carole Grandjean, DRH d’Etam


Polytechnique, HEC, UTT : comment les lauréats des prix News Tank/Emerging collaborent avec les entreprises

« Universités et grandes écoles longtemps considérées comme des châteaux forts par les entreprises » (C. Collet, UTT)

Christophe Collet - ©  D.R.
« La relation avec les entreprises est ancienne chez nous. L’UTT a la particularité d’être à la fois une université et une grande école, avec 3 500 étudiants et la chance de pouvoir sélectionner à l’entrée », déclare Christophe Collet, directeur de l’UTT.

Si, pour lui, la jonction entre entreprises et universités-grandes écoles est aujourd’hui naturelle, il précise que cela a pour objectif de répondre « à une difficulté qu’avaient les entreprises : elles ont longtemps considéré que l’université ou la grande école étaient un peu une sorte de château fort, avec des entrées secrètes. Aujourd’hui, c’est fini. On a une porte d’entrée : la direction des relations entreprises, et des réponses à toutes les demandes que peuvent faire les entreprises. On fait du sur-mesure ».

« Mais le monde change très rapidement, et cela se reflète aussi bien pour les entreprises que pour nous. L’UTT accompagne aujourd’hui des entreprises sur des sujets stratégiques comme l’intelligence artificielle. Nous voyons apparaître des avancées radicales : DeepSeek et ChatGPT ne relèvent pas du même monde. C’est de l’intelligence artificielle, mais ce n’est pas du tout la même vision du monde qui arrive demain. »

Du sur-mesure pour les entreprises »

« L’UTT a toujours associé technologie et humanisme, et aujourd’hui nous y intégrons les transitions. Ce trio fait un peu le cœur du moteur des universités de technologie, et en particulier à l’UTT. Le monde sera totalement différent dans dix ans. Voulons-nous nous engager pleinement dans nos valeurs humanistes européennes ? Dans ce cas-là, ce n’est pas ChatGPT qu’il faut utiliser ! Les entreprises se plaignent parfois de la génération Z. Nous sommes à l’écoute, à la fois de cette génération et des entreprises. »


Relation avec les entreprises : « historique et essentielle pour notre école » (C. Cudeloup, X)

Céline Cudeloup - ©  D.R.
« La relation avec les entreprises est historique et essentielle pour notre école, mais aussi pour son avenir. Elle alimente les trois piliers : formation, recherche et innovation », déclare Céline Cudelou.

« C’est un enjeu stratégique majeur pour nous, qui fait partie de nos axes prioritaires sur des thématiques clés comme l’intelligence artificielle, la data science, le climat et la souveraineté. Nous avons une quarantaine de personnes qui travaillent sur la relation aux entreprises. Leur mission est de faciliter l’accès aux élèves, l’amélioration des enseignements, et d’accroître les interactions en matière de recherche et d’innovation.

Les modalités de collaboration sont aujourd’hui multiples. Nous comptons environ 130 entreprises partenaires par an.

Sur l’axe de la formation, nous mettons en place :

  • le soutien aux frais de scolarité pour nos étudiants, ainsi qu’à notre pôle égalité des chances pour favoriser la diversité.
  • des partenariats marques entreprises pour faciliter l’accès aux étudiants à travers des stages, des projets scientifiques, et la participation à des forums étudiants.

Sur l’axe de la recherche et de l’innovation, nous développons :

  • des collaborations de recherche sous différentes formes : prestations de recherche, laboratoires communs.
  • des chaires de mécénat, à la fois pour l’enseignement et la recherche.
  • le soutien à des projets d’envergure en recherche fondamentale, liés aux défis sociétaux majeurs que nous souhaitons relever. »

« Des relations avec les entreprises inscrites dans l’ADN de Paris-Saclay » (C. Galap)

« La proximité avec les entreprises est inscrite dans la construction même de Paris-Saclay et son positionnement dans l’écosystème », indique Camille Galap, pour qui les relations avec les entreprises sont ainsi inscrites « dans l’ADN de Paris-Saclay ».

« Aujourd’hui, les défis à relever au niveau des entreprises passent par la recherche et l’innovation. Elles viennent nous voir de façon quasiment spontanée, parce qu’elles ont besoin de relever les défis, parce qu’elles ont besoin de pouvoir régler des problèmes de ruptures technologiques. »

Les entreprises ne font pas peur »

Camille Galap met aussi en avant l’organisation de son université en graduate schools, qui facilite ces « interactions ». « Cela mixe les publics des grandes écoles, de l’université, des organismes de recherche et il n’y a pas de tabou. Les entreprises ne font pas peur puisque l’on en a besoin. Elles interviennent dans les formations, nous avons des bourses Cifre en nombre et nous sommes sollicités au travers des contrats de recherche. »


Datas des entreprises : « mettre en place des projets de recherche communs » (E. Peyrache, HEC Paris)

« À HEC, nous avons des liens depuis très longtemps avec les entreprises », déclare de son côté Éloïc Peyrache. Pour organiser ces collaborations avec les entreprises, « nous avons une équipe partenariat entreprise, pour le placement, accompagner les élèves, savoir ce qu’ils ont envie de faire ».

« Aujourd’hui, les entreprises ont des quantités de données absolument phénoménales et souvent non structurées, dont elles ne savent pas forcément quoi faire et qu’elles ont du mal à faire parler. Et les datas, c’est souvent la matière première des chercheurs. »

D’où la possibilité de mettre en place des projets de recherche communs, permettant aux entreprises de réfléchir à leur stratégie, leur positionnement.

« Pour répondre aux grands défis, on a besoin de faire tomber les frontières. Il faut que les citoyens, les ONG, les entreprises, les chercheurs, les entrepreneurs co-construisent des solutions. »


L’enjeu de l’insertion professionnelle

Aider les jeunes à trouver le chemin de l’entreprise

Pour Carole Grandjean, « dans les contenus des formations, il y a un vrai enjeu :

  • à travailler bien sûr le contenu pédagogique, la connaissance, le savoir qui permet d’avoir une vision globale, une culture des sujets qu’on apprend ;
  • mais également du savoir-être. Là aussi, on voit une vraie évolution dans les pédagogies, avec beaucoup plus de modes projets et un travail sur le développement de qualités personnelles chez les jeunes pour qu’ils puissent s’adapter demain au monde de l’entreprise ».

« Ce dernier point est majeur, car c’est une attente extrêmement forte des entreprises d’avoir des jeunes ayant déjà un petit vernis pour être plus facilement intégrés dans une entreprise ; même s’il faudra poursuivre ce travail de vernissage. »

« Nous avons évidemment aussi un enjeu à faire encore plus ce lien-là dans la facilité de co-engagement :

  • car si bien sûr les établissements accompagnent dans la recherche de stages ou d’alternances, il y a aussi au-delà, de la part des entreprises, des engagements sur des interventions, des cas pratiques ou tout simplement des projets d’entreprise, des transformations qu’on veut pouvoir engager. »
Avoir des jeunes ayant déjà un petit vernis »

Et de citer un exemple chez Etam : « Nous sommes en partenariat avec une école pour voir comment repenser notre relation client avec une clientèle plus jeune sur une marque : on se fait bousculer quelque part par des étudiants qui nous apportent leur regard sur une stratégie de marque pour rajeunir la clientèle de cette marque ».

« L’éducation est un investissement qui doit aussi se faire au bénéfice de l’employabilité des jeunes, d’une économie, d’une société plus largement… Aider ces jeunes à trouver le chemin de l’entreprise me paraît donc absolument essentiel, car notre objectif à tous est qu’ils trouvent leur place dans la société. »

Elle indique qu’avec Sylvie Retailleau, alors ministre de l’ESR, elle a beaucoup travaillé « au lien avec le monde de l’entreprise, mais aussi au lien entre lycées professionnels et enseignement supérieur, et au final pour la poursuite d’études pour les jeunes tout simplement ».


« Communiquer sur nos taux d’insertion »

Le président de l’Université Paris-Saclay relève aussi l'« impact territorial important » qu’a l’université, y compris d’un point de vue socio-économique. « Il nous faut parvenir à communiquer sur nos taux d’insertion. Il y a des masters qui insèrent quasiment à 100 %. Or ce n’est pas forcément très visible. »

« Il nous faut développer la culture d’alumni des universités. C’est très développé dans les écoles, mais dans les universités, pas suffisamment », ajoute Camille Galap. « On y travaille, car les étudiants qui sortent de nos universités, qui sont des talents reconnus dans l’entreprise, sont des leviers dans le cadre de mécénats, de projets de partenariat ou de contrats de recherche. C’est fondamental. »

70 % des apprentis sont dans des TPE-PME »

« 70 % des apprentis sont dans des TPE-PME. Aujourd’hui, très largement, ces étudiants apprentis d’enseignement supérieur accompagnent le développement économique d’un tissu très territorial et qui a vraiment besoin de ces expertises pour préparer leur mutation, leur transformation », ajoute Carole Grandjean.

« Ils sont partout sur le territoire. Et contrairement à ce que beaucoup disent, bien qu’ils se soient évidemment très largement développés dans l’enseignement supérieur puisqu’ils n’existaient quasiment pas avant la réforme de l’apprentissage, on en a autant dans tous les niveaux de diplômes. C’est vraiment une réussite. »

Elle mentionne aussi les campus des métiers et des qualifications, « avec un travail qui a été fait avec Sylvie Retailleau pour tisser le lien entre les écoles de bac moins 3 à bac +6 ou 10 parfois. L’idée de ces CMQ est qu’à l’échelle territoriale il y ait des choses à jouer, à tisser, des partenariats à construire et des parcours à organiser ; avec des parcours évidemment de formation continue, c’est majeur ».


« Nous ne formons pas assez d’ingénieurs »

« Je suis très frustré. Le problème aujourd’hui, c’est que nous ne formons pas assez d’ingénieurs en France. On ne nous donne pas les moyens d’en former davantage. Les industriels de l’armement, ainsi qu’EDF, viennent nous voir régulièrement. Nous avons des grands enjeux qui arrivent. Et nous n’aurons pas les gens formés. Il faut à tout prix en former davantage », indique Christophe Collet.

« L’UTT est cheffe de file d’une université européenne [EUt+], fédérant huit universités technologiques, dont la vocation est de faire émerger une université technologique en Europe. On parle beaucoup de réindustrialisation.'

 »Aujourd’hui, ce projet d’université européenne, c’est 110 000 étudiants, 7 000 enseignants-chercheurs. Si nous la faisons émerger, nous apparaîtrons alors dans les classements internationaux, ce qui renforcera encore notre attractivité auprès des entreprises".

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Carole Grandjean à Think 2025 - ©  D.R.