« Une incompréhensible censure de la négociation sur la formation » (Jean-Pierre Willems)

News Tank RH - Paris - Analyse n°403423 - Publié le
©  Seb Lascoux
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Alors que les moyens de l’État consacrés à la formation professionnelle refluent, il est paradoxal de constater que le ministère du Travail censure des accords conclus par des branches professionnelles qui souhaitent faire des efforts particuliers dans ce domaine. Le dernier exemple en date concerne l’accord conclu le 19/06/2024 dans le secteur de l’hôtellerie-restauration dont l’arrêté du 30/04/2025 censure des dispositions clés, alors que l’accord instaure une contribution conventionnelle destinée à la formation de 0,5 %. Cet exemple n’est pas isolé, d’autres accords ayant précédemment subi le même sort. Cette censure n’est justifiée, selon notre analyse, ni juridiquement ni politiquement et conduit à s’interroger sur ses motivations et son intérêt.

Une analyse de Jean-Pierre Willems Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH @ Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne • Consultant @ Willems Consultant
pour News Tank.


La censure de l’accord conclu dans la branche de l’hôtellerie-restauration

Par un accord du 19/06/2024, les partenaires sociaux de la branche de l’hôtellerie-restauration conviennent d’instaurer une contribution de 0,5 % de la masse salariale destinée à la formation professionnelle.

Cette contribution comporte deux parts :

  • 75 % au minimum qui sont versés à l’Opco ;
  • La part restante est versée à une organisation paritaire de branche qui l’utilise pour conduire des actions de développement de la formation.

La CPNE décide chaque année de la part effectivement versée à l’Opco.

Pour le secteur de l’hôtellerie-restauration, l’effort est considérable pour un secteur confronté à de multiples difficultés post-covid mais également à d’importants besoins de professionnalisation et de fidélisation.

Pour autant, par un arrêté du 30/04/2025, le ministère du Travail censure deux dispositions majeures de l’accord :

  • Tout d’abord, font l’objet d’une réserve les dispositions qui prévoient que la CPNE décidera des emplois des fonds collectés par la branche ;

Le ministère rappelle que seul le conseil d’administration de l’Opco est décisionnaire pour la gestion et l’affectation des fonds. Ce qui pourrait paraître juridiquement correct, le conseil d’administration de l’Opco est effectivement le garant du bon usage des fonds, mais ne l’est pourtant pas tout à fait.

Les contributions conventionnelles sont mises en place par accord. C’est l’accord qui définit les usages possibles des fonds. L’Opco n’a pas le pouvoir de décider en lieu et place de l’accord. Son rôle se limite à vérifier que les emplois des fonds sont conformes à l’accord. Et lorsque l’accord prévoit que la CPNE décide des actions financées, ces décisions, en vertu de l’accord, s’imposent à l’Opco dans la limite des fonds disponibles.

Autrement dit, le conseil d’administration de l’Opco est effectivement le seul responsable in fine de l’usage des fonds et il doit veiller à la conformité de cet usage aux dispositions légales, mais il est également tenu de respecter les dispositions conventionnelles et les décisions de la CPNE, en tant qu’elles sont prévues par l’accord, entrent dans ce bloc conventionnel.

  • En second lieu, le ministère a exclu de l’extension la possibilité de verser une part de la contribution conventionnelle à une association paritaire de branche au motif que les contributions conventionnelles doivent être gérées par l’Opco.

Sur ce point, il suffit de se reporter à la lettre du texte L. 6332-1-2 du Code du travail :

I.- Les opérateurs de compétences agréés pour gérer la contribution mentionnée au chapitre Ier du présent titre peuvent également collecter et gérer les contributions supplémentaires ayant pour objet le développement de la formation professionnelle continue.

Ces contributions sont versées soit en application d’un accord professionnel national conclu entre les organisations représentatives d’employeurs et de salariés et mutualisées dès réception par l’organisme au sein des branches concernées, soit sur une base volontaire par l’entreprise.

Elles font l’objet d’un suivi comptable distinct.

Ce texte établit la capacité des Opco, dans le cadre de leur agrément, à gérer des contributions conventionnelles. Ils le « peuvent ». Cette possibilité ne saurait sans abus manifeste s’interpréter comme un monopole de gestion qui interdirait aux branches professionnelles de créer des contributions destinées à la formation qu’elles confieraient à une autre entité que l’Opco.

Il faut rappeler le principe général posé par l’article L. 2221-1 du Code du travail, qui confère à la négociation collective la capacité à traiter de l’ensemble des conditions d’emploi, de travail et de formation des salariés.

Le présent livre est relatif à la détermination des relations collectives entre employeurs et salariés. Il définit les règles suivant lesquelles s’exerce le droit des salariés à la négociation collective de l’ensemble de leurs conditions d’emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que de leurs garanties sociales.

Si le champ de la négociation collective est encadré par la loi, il n’en existe pas moins un champ d’autonomie, notamment en matière de formation professionnelle, qui permet aux partenaires sociaux de négocier librement sur le sujet.

Une censure qui a des précédents

L’accord de l’hôtellerie-restauration n’est pas le seul à avoir subi les foudres ministérielles. De nombreuses branches ont été confrontées au même refus du ministère du Travail d’autoriser la mise en place de contributions conventionnelles destinées à la formation. Une des dernières en date est celle de l’imprimerie et des industries graphiques qui, après deux ans de discussion, a finalement obtenu l’extension d’un accord prévoyant la mise en place d’une contribution visant le développement de l’emploi en retirant du texte le mot formation.

On pourrait également prendre l’exemple du travail temporaire dont plusieurs accords étendus, dont un concernant la formation, a permis le versement de contributions conventionnelles au FPETT. Certes, il existe l’article L.6331-69  qui prévoit cette possibilité.

Mais, que l’on sache, dans un état de droit il n’est nul besoin d’un texte qui autorise dès lors qu’aucun texte n’interdit ! Le principe est la liberté et non l’interdiction qui nécessiterait un texte d’autorisation. Sinon, nous changeons de régime.

Et, répétons-le, il n’existe aucun texte qui confère un monopole aux Opco pour la gestion des contributions conventionnelles, juste une possibilité.

Comment bâtir une société de compétences sans favoriser largement les initiatives ?

Alors que les politiques publiques de formation s’essoufflent, que les partenaires sociaux ont vu leur rôle se réduire considérablement à la suite de la réforme de 2018, il est pour le moins paradoxal que le ministère du Travail mette des bâtons dans les roues aux secteurs qui s’engagent dans une politique volontariste en matière de formation.

D’autant que, comme nous l’avons vu, il n’y a rien d’évident au plan juridique à censurer de tels accords, l’opportunité politique allant encore moins de soi.

Quel intérêt alors d’avoir cette interprétation extrêmement restrictive et que rien dans l’élaboration de la loi du 05/09/2018 ne vient soutenir ? Est-ce un réflexe bureaucratique d’avoir besoin de tout voir et de tout contrôler en centralisant toutes les ressources dans un organisme sous tutelle de l’État ?

Ou une culture administrative qui porte l’ordre public en bandoulière et ne voit dans la négociation collective qu’un vassal des politiques publiques ? Ou une raison qui nous échappe ? Quelle qu’elle soit, il est en tous les cas certains que l’on ne saurait faire plus contreproductif dans le contexte actuel et qu’il est assez navrant de voir ainsi censuré ceux qui souhaitent investir davantage dans le développement des compétences.

Jean-Pierre Willems

Parcours

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH
Willems Consultant
Consultant
IGS Toulouse
Responsable du master RH
Centre de recherche et d’information sur le droit de la formation (UT1)
Partenaire

Établissement & diplôme

Université Toulouse 1 Capitole
DESS Gestion du personnel - Droit (Michel Despax)

Fiche n° 24709, créée le 10/08/2017 à 15:40 - MàJ le 18/07/2025 à 11:57